Le temps d’une après-midi, le 29 mai 2011, le collectif Quartier Libre (1) s’installe dans le quartier de Ménilmontant à Paris, pour redistribuer gratuitement des vêtements dans la rue. Une première.
Elle prend la veste rouge au milieu du tas d’habits, hésite à la mettre sous son bras, "Allez-y c’est gratuit !" lui lance-t-on. Elle se penche à nouveau, silencieuse farfouille, et remplit son sac en plastique de vêtements. "Faudrait que ces initiatives se multiplient, parce que franchement, on est tous dans la m.." glisse Fathia.
Quatre tréteaux, deux planches de bois sur lesquelles sont disposés des tas de vêtements. Sur une affiche blanche collée à un arbre on peut lire, écrit à la main : "habits ni à vendre, ni à revendre". Le collectif Quartier Libre s’installe.
Fatigués de la monotonie de certains discours politiques, le collectif a décidé de mener sa première action concrète de rue en se posant à l’impromptu, sans autorisation de la mairie, à la sortie du métro de Ménilmontant dans le vingtième arrondissement de Paris. "Concrètement c’est notre première apparition publique, précise Arthur, 20 ans. Avant on a fait des repas de soutien aux sans-papiers tunisiens qui squattent le gymnase à Couronne [dans le onzième arrondissement de Paris]. Mais là, on recrée une vie de quartier solidaire, du lien social. Ça nous a rien coûté, à part du temps et de l’énergie, et au final ça rend service à des gens."
Créé il y a quelques mois, le collectif Quartier Libre est composé d’une dizaine de jeunes en colère, guidés par une impulsion commune : redynamiser les actions sociales, ouvrir une autre conscience sociale, économique, politique. Sur le tract jaune poussin, le message est clair : "Nous ne dépendons d’aucun parti, syndicat ou groupe affinitaire, nous refusons d’annexer nos luttes à des priorités électorales ou carriéristes."
La démarche est neuve, en marge des manifestations habituelles. "On ne veut pas créer de l’événementiel comme un sit-in dans le rue, pour dire qu’on n’est pas content, précise Delphine 24 ans. Il y a un manque quelque part. Dans les structures politiques, il n’y a pas de vraies dynamiques. On est un peu dans un moment où on est face à une espèce de flottement. En même temps, plein de gens ont envie de faire des choses".
"Les gens ne sont pas vraiment concernés par les structures nationales, renchérit Arnaud, 20 ans. Les décisions sont prises sans eux. C’est pourquoi il faut un impact fort avec des actions concrètes. Ça peut paraitre simpliste, mais la seule chose qu’on veut montrer c’est qu’une alternative est possible."
Ni charité, ni assistanat
"Ce qui est intéressant dans le principe de la redistribution, c’est qu’on peut s’impliquer directement en donnant des habits. Ce qu’on veut, c’est que les gens s’investissent, viennent voir. Et ça a un impact direct sur le quartier."
En effet, la collecte s’est faite grâce aux dons des habitants du vingtième arrondissement de Paris. Le collectif a parcouru les brocantes pour récolter les vêtements invendus. Ils ont aussi récupéré des vêtements directement déposés par les habitants du quartier à la librairie Libre ère (2). "Les gens sont très contents de nous donner leurs habits car souvent, ils finissent à la poubelle. Et puis là, ils reviennent nous voir, c’est ce qu’on recherchait."
À 18 heures, il reste encore quelques sacs remplis sous les tables, l’occasion pour le collectif de faire une autre action. La semaine prochaine ? "On n’est pas là pour faire de la charité. On a tout eu dans les réactions, comme des catholiques qui ne comprenaient pas pourquoi on ne reversait pas à l’Eglise", précise Delphine. "On ne va pas imposer des rendez-vous fixes, sinon l’action politique disparaît, et on tombe dans l’assistanat, rajoute Arnaud. Les vêtements c’est seulement un moyen pour cibler un problème de misère à la base. Plutôt que de se focaliser sur les conséquences, il faut remettre à plat les causes. Le but pour que se pérénisent ces actions est donc qu’on agisse sous différents moyens."
Tout reste à organiser. Le collectif n’a pas encore de local, mais leur principal champs d’action restera la rue. "Après on voudrait pouvoir proposer des loisirs, du sport, de l’art, de la culture, et bientôt j’espère, redistribuer des livres", conclut Arnaud.
À côté d’eux, toute l’après-midi un homme a vendu du pop-corn sur son caddie, deux chanteurs à la cantonade ont fait résonner leur orgue de Barbarie [écoutez ci-dessous]. Le maïs chauffe, crépite, dans l’air chaud d’un nouveau temps des cerises.
(1) quartierlibre@riseup.net
(2) Libre ère, 111 boulevard de Ménilmontant - 75011 Paris