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15 avril 2013 1 15 /04 /avril /2013 12:44

paru dans CQFD n°109 (mars 2013), par Nicolas de La Casinière, illustré par Nicolas de la Casinière 

Exclu de l’indemnisation, considéré comme fraudeur, condamné à rembourser, le chômeur n’a pas supporté. Il s’est immolé devant Pôle emploi. Officiellement, tout a été fait « avec humanité ».

Par Nicolas de La Casinière {PNG}

Désespéré, le peuple a mis fin à ses jours. C’est arrivé le 13 février. Djamel Chaab s’est immolé devant l’agence Pôle emploi qui refusait de l’indemniser. Chaab, en arabe, ça peut se traduire par « le peuple ». Il est venu en bus. Descendu à l’arrêt dans une rue adjacente à l’agence pour l’emploi. C’est comme ça qu’on disait, autrefois. Pour l’emploi. Pas contre les gens qui n’en ont pas. Aujourd’hui, les agences de radiation sont devenues des pôles de gestion du chiffre sensible du nombre de chômeurs en France.

Djamal Chaab a déposé ses clés sur le trottoir. Personne dans la rue de ce quartier de bureaux à quatre étages, en paquets, cernés de parkings au pied. Il a vidé sur lui une bouteille d’eau de Javel pleine d’essence. Une flamme a suffi. Il a couru vers l’entrée de l’agence, surprenant les trois policiers et le vigile en faction. On avait pourtant bien protégé les locaux.

Il avait 42 ans. Fils d’un tailleur réputé de Sidi Bel Abbès, Djamal Chaab a travaillé en Algérie à la fabrication de décors de théâtre. Puis il a rencontré Nicole. Mariés, il se sont installés là, pas si loin de cette antenne de Pôle emploi. Il s’était impliqué auprès de la famille nantaise de l’un des otages enlevés au Niger, aidait à faire des traductions en arabe.

Lundi, l’agence lui a signifié un rejet de droits alors qu’il aurait travaillé 720 heures. Il revient le lendemain. L’agence est fermée. Il téléphone, dit qu’il vient d’avaler des médicaments. Les pompiers sur place, il n’a rien pris. Puis il prévient à nouveau Pôle emploi qu’il va venir se suicider à l’intérieur de l’agence.

600 euros à rembourser

Pôle emploi avait donc décidé de le sanctionner, le renvoyant à l’allocation minimum, des ressources réduites à presque rien. Sa « faute », pour l’administration, c’est de ne pas avoir déclaré une mission d’intérim en août, alors qu’il a déclaré toutes les autres. Il avait travaillé tout le mois de décembre. Manutention de nuit dans une boîte de transports. Son erreur lui vaut la double peine, on ne peut plus normal pour la machine Pôle emploi. Malgré sa période travaillée, aucun droit à indemnisation. Deuxième sanction : il doit rembourser ce qui est considéré comme un « trop perçu ». Soit 600 malheureux euros. Pourtant comme tout salarié du privé, il a cotisé pour cela.

Au même moment, un certain Carlos Ghosn qui émarge à 36 000 euros par jour, propose de se sacrifier un peu, se « limitant » à 26 000 euros par jour si les ouvriers acceptent son chantage à la « compétitivité ». Au même moment, une fraude réelle, authentique tromperie à l’échelle industrielle parle de bœuf qui n’en est pas et de mauvais cheval. La crise broie les salariés comme du vulgaire minerai de bidoche que l’agro-business utilise dans de troubles assemblages, agglomérats mixant des bas morceaux de viande, des tissus graisseux, du collagène.

Humanité, humanité, humanité !

Pôle emploi ne recolle aucun morceau mais a tenu à faire savoir que son action a été irréprochable. Le ministre du Travail est venu le soir même sur les lieux du drame réconforter le personnel. « Tout a été fait, ce qui s’est passé ici est exemplaire », a lâché Michel Sapin. Les règles d’indemnisation ? Respectées, « appliquées avec l’humanité qui convient, avec les explications nécessaires mais il y a parfois des moments où on est dans une telle situation, qu’on ne comprend plus les explications ». Fermez le ban. Simple aléa de la communication. Le contrôle social généralisé des précaires s’accommode pourtant assez mal du terme d’« humanité ». Sa femme Nicole a dénoncé « une administration qui a perdu toute humanité » et des salariés retranchés derrière leurs ordinateurs. Le lendemain de la mort de Djamal Chaab, le big boss de Pôle emploi, Jean Bassères, s’est fendu d’une circulaire à ses directeurs régionaux, chargés de retransmettre au petit personnel dont le grand patron salue de loin « professionnalisme, courage et humanité ». Il tient à rassurer : « Tous les services publics qui, comme Pôle emploi, ont pour mission d’aider nos concitoyens les plus en difficulté sont inévitablement exposés à des situations semblables. » Il rappelle à propos de la victime que « l’examen de son dossier de demande d’allocations avait fait apparaître qu’il ne justifiait pas d’une durée d’affiliation suffisante » et que « tous les services publics qui, comme Pôle emploi, ont pour mission d’aider nos concitoyens les plus en difficulté sont inévitablement exposés à des situations semblables ». Sinon, si ça se reproduit, il faut prévenir police et pompiers, et « informer par mail la direction “Maîtrise des risques” de la direction générale ». La vie des gens se voit réduite à une gestion technocratique de risques à maîtriser. Officiellement, le message martèle « l’humanité ». C’est le maître mot de la communication de crise. Pour François Hollande, « le service public de l’emploi a été, je crois, exemplaire, il n’est nul besoin d’aller chercher une responsabilité. Quand nous avons des règles, nous devons les faire comprendre. »

La machine à faire comprendre a comme des ratés. Mais Pôle emploi et police n’ont rien à se reprocher. « On n’a rien pu faire », a dit Philippe Cussac, directeur départemental de le sécurité publique. Le patron des flics a dépêché trois hommes, un à l’intérieur de l’agence, un à la porte (où Pôle emploi avait aussi embauché un vigile pour interdire l’accès à Djamal Chaab), un troisième policier aux abords de cette entrée. Cette protection centrée sur les locaux n’a pas pu arrêter celui « qui a surgi à l’angle de la rue », mourant avant qu’une couverture lancée par le vigile n’éteigne les flammes et que les policiers utilisent un extincteur. Le dispositif, comme disent les flics, a été déjoué par Djamal Chaab « Algérien avec un titre de séjour en règle de dix ans, inconnu des services », rappelle Cussac sans réussir à se départir de ce regard policier qui porte le filtre de la suspicion sur toute personne impliquée dans un drame, même si elle est victime de bout en bout.

On peut cogner, chef ?

Trois jours plus tard, une marche pacifique, silencieuse, sans slogan, accompagne des proches de la victime. En fin de cortège, elle croise des abrutis réacs anti-mariage pour tous, beuglant leurs slogans, klaxonnant à vélo devant le monument aux morts. Quelques invectives aux manifestants homophobes servent de prétexte à la police, cette fois très présente version anti-émeute, pour cogner dans le tas, épargnant miraculeusement les cathos, sans s’interposer, fonçant bille en tête contre les participants au cortège en hommage à Djamal Chaab. Coups de matraque, nuages de lacrymo, giclées de sang. Un participant à cet hommage à un chômeur s’est fait frapper au visage à coups de tonfa, une femme était projetée violemment à terre par les casqués de la république. Un journaliste d’Ouest-France a excusé ce déchaînement policier : ceux qui ont été l’objet de ce dispositif policier n’avaient pas eu la décence de retirer leurs badges contre le projet d’aéroport à Notre Dame-des-Landes. Ce qui suffit donc à justifier la violence d’État. Comme s’il n’y en avait pas eu assez, de violence, dans cette histoire que les dirigeants trouvent « exemplaire ».

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Published by coutoentrelesdents - dans CAPITALISME

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