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15 avril 2013 1 15 /04 /avril /2013 11:32

Un point de vue sur le fétichisme partant d'une critique de la considération de Debord ("La société du spectacle, etc.) sur le sujet.

 

Voir le Fichier : L_eternel_probleme_du_fetichisme__RS.pdf

 

spectacle.jpg

 

L'éternel problème du fétichisme

 

 

Extrait de l'ouvrage de Roland Simon, théorie du communisme Volume I, Fondements critiques d'une théorie de la révolution, éd. Senonevero, 2001, pp. 503 à 509

 

 

Le problème de Debord, ce qui le fait « patiner » et produire une tautologie, est le problème théorique « classique » du statut de l'  « observateur » dans la théorie du fétichisme, et qui n'est pas du tout ici un problème d'épistémologie mais porte sur la nature même de la contradiction dans le mode de production capitaliste. C'est à partir de son article sur 'La loi sur les vols de bois » (Oeuvres philosophiques, t. 5, Costes) , que Marx commence à utiliser le concept de fétichisme. Il le sort de son domaine ethnologique initial (De Brosses, Du culte des dieux fétiches, 1760, inventeur du concept, et dont le goût pour les « chairs molles et tactiles » des peintures baroques italiennes aurait ravi un autre utilisateur de son concept, cf. « Les lettres italiennes », dans Yves Florence, le président De Brosses, Mercure de France, où l'on trouve quelques pages du livre sur le fétichisme) pour l'utiliser à l'analyse de phénomènes dans la société dont l'analyste lui-même est membre (le texte de Marx montre qu'il avait lu le livre de De Brosses, dont il reprend des exemples). Toute la difficulté est alors contenue dans le fait que : « L'observateur n'appartient pas seulement à l'observation [comme dans la problématique ethnologique d'origine, NDA], mais aussi au phénomène observé » (Iacono, le Fétichisme. Histoire d'un concept, PUF, p. 76). Toute analyse du fétichisme semble donc avoir besoin de se construire un poste d'observation extérieur au fétichisme lui-même. Comme disait Auguste Comte : « On ne peut pas être à la fenêtre et se regarder passer dans la rue. » Dans le Capital, ce poste d'observation, ce serait la comparaison historique des modes de production, ou la construction de situations imaginaires (la « société des producteurs associés »), de toute façon, une méthodecomparative ; le terme même de fétichisme, utilisé analogiquement, produisant cet effet de comparaison. Dans le chapitre sur la valeur, Marx fait plusieurs fois référence, pour faire entendre la forme valeur, au mode de production féodal ou à la famille paysanne patriarcale, il utilise également des situations théoriquement produites : « l'île de Robinson », « la réunion d'hommes libres ». Pour rendre compte du fétichisme, il se place idéalement dans un système opposé, mais ce ne serait encore finalement qu'une utilisation nouvelle de la technique des Lettres persanes, qui nous donne autant une satire de la société du XVIII éme siècle, que l'expression de la propre idéologie rationaliste de ce siècle. Le déplacement de l'observateur conduisant à une interprétation critique du monde qui est le sien ne nous dit pas comment ce déplacement lui-même est possible et peut être interprété comme une nouvelle « ruse » du fétichisme.

 

Lukàcs (Histoire et conscience de classe), Mannheim (Idéologie et utopie), Kosik (la Dialectique du concret) Gabel (la Fausse Conscience), Althusser et Balibar (Lire le Capital) ont cherché, avec des réponses aussi diverses que d'un intérêt très inégal, le point de vue « juste ». Du « point de vue de classe », jusqu'à la « science », en passant par l' « homme sans attache » et l' « intentionnalité ». La théorie la plus intéressante étant bien sûr celle de Lukàcs – la particularité de la marchandise force de travail fondant le prolétariat à poser l'identité du sujet et de l'objet – que nous critiquerons ultérieurement. Tous ces points de vue ont en commun de présupposer une pensée ou une conscience qui connaissent directement le réel, et corollairement un réel, objet en soi de connaissance, existant indépendamment de cette conscience (il est évident que nous considérons ici la conscience ou la pensée comme l'être conscient). Toute définition d'un point de vue « juste » (neutre, scientifique, ou de classe) est un postulat idéologique. Il ne s'agit pas de rechercher un point de vue sur le fétichisme, c'est le fétichisme lui-même en tant que tel se donne pour ce qu'il est, de façon interne, naïvement, parce qu'il n'est pas un voile sur la réalité, mais une pratique sociale définissant cette réalité. Concrètement, on serait tenté d'écrire empiriquement, les classes sociales et leur contradiction ne se construisent pas et n'apparaissent pas à elles-mêmes en dévoilant le fétichisme mais grâce à lui, dans son mouvement (encore une fois, soyons spinozien et ne cherchons pas l'être en dehors de ses attributs).

 

« les rapports de valeur, apparaissent dans l'échange des produits du travail en tant que marchandises, expriment essentiellement non des propriétés des choses ou des relations entre elles, mais des rapports sociaux entre les hommes concourant à la production des choses. La société bourgeoise n'est autre que cette forme particulière de la vie sociale où les relations fondamentales qui s'instaurent entre les hommes dans le cadre de la production sociale de leur existence ne sont perçues par eux qu'après coup, et seulement sous la forme inversée de rapport des choses entre elles. Soumis dans leurs actes conscients à de pareilles représentations imaginaires, les membres de la société « civilisée » sont dominés par le travail de leurs mains, de la manière même dont le sauvage l'est par le fétiche » (Karl Korsch, Karl Marx, champs libre, p. 144). Après avoir clairement dit que « la société bourgeoise n'est autre que cette forme particulière de la vie sociale, etc. », Korsch replonge dans la problématique illuministe de la conscience obscurcie par des représentations imaginaires. La difficulté dans l'analyse du fétichisme à se dégager d'une problématique illuministe, et donc de la recherche du « point de vue » qui donnera l'image du monde exacte, réside dans le fait que l'on considère que « la forme de la marchandise restitue [souligné par nous] aux hommes le caractère social de leur travail, mais cette restitution se manifeste comme si (ibid.) ces caractères sociaux étaient des propriétés naturelles des choses » (Iacono, op. cit., p. 86) et puis on ajoute : ceci n'existe que dans un certain type de société. Si « ceci » n'existe que dans un certain type de société, cet « homme », c'est le travailleur et plus précisément le travailleur salarié, et alors la marchandise ou le capital ne restitue pas aux « hommes » le caractère social de leur travail, marchandise et capital construisent réellement ce caractère et ce caractère n'existe qu'en eux. Le fétichisme n'est pas un miroir déformant l'image de telle sorte que celui qui serait reproduit dans le miroir non seulement ne se reconnaîtrait pas mais en plus n'aurait même plus l'idée de s'y chercher. Le caractère social du travail n'existe pas une première fois dans le travailleur et une seconde fois comme reflet de la première dans la forme marchandise (de la même façon, comme nous l'avons montré précédemment, les forces sociales du travail n'existent pas dans le travail en tant que tel, puis dans le capital, elles n'existent que comme capital). À considérer le fétichisme comme un miroir, on le ramène, comme le fait Korsch, à l' « aliénation de soi » et en conséquence on postule quelque chose de préexistant et qui s'aliène : « Ce que Marx appelle, en ces pages du Capital, « fétichisme du monde de la marchandise » n'est que l'expression scientifique qui lui sert à désigner le phénomène qu'il décrivait précédemment, au cours de sa période hégéliano-feuerbachienne, par le terme d' « aliénation de soi » et qui, de fait, avait déjà formé, dans le cadre hégélien, la base réelle de cette calamité particulière qui, à un certain point de son évolution, était advenue à « l'Idée » philosophique » (Korsch, op. cit., p. 144). Nous voilà prêts à assister de nouveau à la petite scène bien connue de la remise de Hegel sur ses pieds, lui qui, revendiquant explicitement de « marcher sur la tête » (préface de la Phénoménologie de l'Esprit), a verrouillé tout son système pour qu'il en soi ainsi. Lorsqu'on veut remettre Hegel sur ses pieds en remplaçant l'Idée par une substance « plus réelle », on fait l'antipodiste avec lui.

 

Le caractère fétiche de la marchandise est la caractérisation, comme existence sociale, de l'ensemble des travaux individuels dans un cadre historique particulier. Ce caractère fétiche est le mouvement et le résultat de deux processus fondamentaux : le caractère social comme valeur des travaux particuliers ne vient pas refléter et masquer des rapports sociaux immédiats ; la « découverte scientifique » de la valeur ne dissipe pas le fétichisme, parce que le fétichisme, s'il n'est pas un miroir, n'est pas non plus un masque.

 

« Le caractère d'égalité des travaux humains acquiert la forme de valeur des produits du travail ; la mesure des travaux individuels par leur durée acquiert la forme de la grandeur de valeur des produits du travail ; enfin les rapports des producteurs, dans lesquels s'affirment les caractères sociaux de leurs travaux, acquièrent la forme d'un rapport social des produits du travail. Voilà pourquoi ces produits se convertissent en marchandises, c'est-à-dire en choses qui tombent et ne tombent pas sous le sens, ou choses sociales » (Marx, le Capital, Livre I, t. 1, Éd. Sociales, pp. 84-85). Cela pourrait encore paraître assez « simple » et renvoyer à une théorie de la mystification des rapports sociaux immédiats entre les producteurs si l'on ne tient pas compte du fait qu'il n'y a pas de caractère social du travail (et des travaux) en dehors de cette « acquisition ». Les choses se compliquent lorsque Marx, après avoir facilement éliminé l'hypothèse selon laquelle le « caractère mystique de la marchandise » proviendrait de se valeur d'usage, ajoute : « Il ne provient pas d'avantage des caractères qui déterminent la valeur[souligné par nous] » (ibid). D'abord, en effet, si variés que puissent être les travaux utiles ou les activités productives, c'est une vérité physiologique qu'ils sont avant tout des fonctions de l'organisme humain et que, toute fonction pareille, quels que soient son contenu et sa forme, est essentiellement une dépense du cerveau, des nerfs, des muscles, des organes, des sens, etc., de l'homme. En second lieu, pour ce qui sert à déterminer la quantité de la valeur, c'est-à-dire la durée de cette dépense ou la quantité de travail, on ne saurait nier que cette quantité de travail se distingue visiblement de sa qualité. Dans tous les états sociaux, le temps qu'il faut pour produire les moyens de consommation a dû intéresser l'homme, quoique inégalement, suivant les diverses degrés de la civilisation. Enfin dès que les hommes travaillent les uns pour les autres, leur travail acquiert aussi une forme sociale » (ibid). Le caractère mystique de la marchandise ne provient donc pas des caractères qui déterminent la valeur, mais de la forme marchandise elle-même. C'est-à-dire que l'égalité des travaux humains qui en elle-même n'a rien de mystérieux devient la forme de valeur des produits du travail, la forme d'un rapport social des produits du travail. « Mais la forme valeur et le rapport de valeur des produits du travail n'ont absolument rien à faire avec leur nature physique. C'est seulement un rapport social déterminé des hommes entre eux qui revêt ici pour eux la forme fantastique d'un rapport des choses entre elles » (ibid). C'est cet « absolument rien à faire » que la théorie du fétichisme comme reflet et/ou comme masque n'arrive pas à admettre. Le caractère social du travail serait donné deux fois. Une première fois comme « les caractères qui déterminent la valeur », une seconde fois comme « rapport social des produits du travail », la seconde voilant, mystifiant la première. Les travaux privés ne se manifestent en réalité comme division du travail social que par les rapports que l'échange établit entre les produits du travail et, indirectement, entre les producteurs et n'acquièrent une existence sociale que par ces rapports. Il en résulte que, pour ces producteurs, « les rapports de leurs travaux privés apparaissent ce qu'ils sont [souligné par nous], c'est-à-dire non des rapports sociaux immédiats des personnes dans leurs travaux mêmes, mais bien plutôt des rapports sociaux entre les choses » (ibid). C'est en apparaissant « ce qu'ils sont » qu'ils sont « fantastiques » ; le fétichisme est un révélateur.

 

Le fétichisme consiste dans le fait qu'il soit tout aussi naturel que les choses aient de la valeur que les corps de la pesanteur. C'est donc, pour revenir à la définition classique, les rapports sociaux que les hommes définissent entre eux qui apparaissent comme rapports entre les choses. Mais ces rapports sociaux n'existent en tant que tels qu'en apparaissant ainsi, qu'à partir du moment où ils sont rapports entre des choses, ainsi ils apparaissent ce qu'ils sont : des non-rapports sociaux immédiats. Le fétichisme ne masque rien. Il n'est pas une transposition, ou plutôt c'est tout le rapport social qu'est la valeur qui est précisément cette transposition de l'activité immédiate des hommes en activité sociale comme rapport entre des choses. Lorsque l'on dit que l'activité révolutionnaire du prolétariat peut se résumer toute entière dans l'abolition de l'échange, de la marchandise, de la valeur, c'est toute activité et représentation de la société, existant en dehors des individus, qu'il s'agit d'abolir et il s'agit pas de libérer une activité sociale existante de la forme aliénée capitaliste, de la débarrasser du fétichisme (par exemple, Boukharine dans le débat sur l' « accumulation socialiste » soutenait la thèse selon laquelle l'abolition de la valeur c'est la planification au sens où, rendant la loi de la valeur consciente, elle en abolit le fétichisme auquel elle est réduite).

 

Si l'on passe de la valeur au capital, c'est le même phénomène de devenir social (et non de masque de la socialité) de l'activité du travailleur que l'on observe. « La conversion du travail (activité vivante et efficiente) en capital résulte directement de l'échange entre le capital et le travail qui confère au capitalisme le droit de propriété sur le produit du travail (le commandement sur le travail). Mais cette conversion se réalise seulement dans le procès de production. Il est donc absurde de se demander si le capital est productif ou ne l'est pas. Le travail lui-même n'est productif que s'il est recueilli au sein du capital qui constitue la base de la production dont le capitaliste est le commandant. La productivité du travail devient force productive du capital, tout comme la valeur d'échange générale des marchandises se cristallise dans l'argent. Le travail n'est pas productif s'il existe pour le travailleur lui-même en opposition au capital, s'il a une existence immédiate extérieure au capital. Il n'est pasproductif comme activité directe du travailleur parce qu'il n'aboutit alors qu'à la circulation simple où les transformations ont un caractère purement formel. Certains prétendent que la force productive attribuée au capital est une simple transposition de la force productive du travail ; mais ils oublient que le capital est précisément cettetransposition, et que le travail salarié implique le capital de sorte qu'il est, lui aussi, transsubstantiation, c'est-à-dire une activité qui semble étrangère à l'ouvrier » (Marx, Fondements..., t. 1, p. 256). Le procès que Marx analyse à propos du caractère productif du travail dans le cadre du rapport du capital est identique à celui de son caractère social dans le cadre de la loi de la valeur et de la forme marchandise, il ne s'agit pas d'une analogie dans la mesure où ce caractère productif est d'être productif de valeur et de plus-value. Le travail ne devient travail social que dans la forme marchandise et le fétichisme qui lui est inhérent, de la même façon qu'il ne devient travail productif qu'en étant incorporé dans le capital, mais, dans un cas comme dans l'autre, il est absurde de se demander si le travail est social en dehors du rapport fétichiste des marchandises entre elles, ou s'il est productif en dehors du capital, dans les deux cas, le rapport fétichiste ou le capital sont eux-même cette transposition.

 

Il n'y a donc pas de « point de vue » qui permette de transpercer le voile du fétichisme dans la mesure où le fétichisme est la réalité de cette société. Il n'y a pas de partie (le prolétariat, le vécu, la vie...) dans la totalité du spectacle, dont Debord reconnaît que le fétichisme constitue la base théorique, qui lui échappe et permettrait non seulement de le connaître mais aussi de le faire éclater. La connaissance du fétichisme (sans parler de son abolition) n'est pas la connaissance du « vrai monde » qu'il cache, parce qu'il n'y a pas de « vrai monde », mais seulement un « monde » comme activités humaines concrètes.

 

« La découverte scientifique faite plus tard que les produits du travail, en tant que valeurs, sont l'expression pure et simple du travail humain dépensé dans leur production, marque une époque dans l'histoire du développement de l'humanité, mais ne dissipe point la fantasmagorie qui fait apparaître le caractère social du travail comme un caractère des choses, des produits eux-même. Ce qui n'est vrai que pour cette forme de production particulière, la production marchande, à savoir : que le caractère social des travaux les plus divers consiste dans leur égalité comme travail humain, et que ce caractère social spécifique revêt une forme objective, la forme valeur des produits du travail, ce fait, pour l'homme engrené dans les rouages et les rapports de la production des marchandises paraît, après comme avant la découverte de la nature de la valeur, tout aussi invariable et d'un ordre tout aussi naturel que la forme gazeuse de l'air qui est restée la même après comme avant la découverte de ses éléments chimiques. […] La détermination de la quantité de valeur par la durée de travail est donc un secret caché sous le mouvement apparent des valeurs des marchandises ; mais sa solution, tout en montrant que la quantité de valeur ne se détermine pas au hasard, comme il semblerait, ne fait pas pour autant disparaître la forme qui représente cette quantité comme un rapport de grandeur entre les choses, entre les produits eux-même du travail » (Marx, le Capital, Livre I, t. 1, pp. 86-87). La « disparition » de cette forme, c'est la prise en compte de son caractère historique. Cette prise en compte historique, c'est, à l'intérieur de ce monde fétichisé, la contradiction que représente la lutte de classes entre le prolétariat et le capital. Elle en montre le caractère historique parce qu'elle oppose le prolétariat à sa propre existence sociale en dehors de lui comme capital et en ce que lui-même implique cette extériorisation dont le capital n'est pas seulement le résultat mais le procès lui-même. Il faut que la séparation entre les travaux privés et leur caractère social se soit développée comme contradiction entre des classes pour qu'apparaisse ce caractère historique de la forme marchandise. Jusque là, on peut avoir percé le mystère de la loi de la valeur, avoir ramené la valeur à la mesure du temps de travail abstrait, il n'en reste pas moins que ce travail abstrait continue à apparaître comme une propriété naturelle des choses, parce qu'ainsi il satisfait à la pratique de tous les échangistes et qu'il est ainsi la construction de leur monde dans leurs activités concrètes. La forme marchandise en se développant comme capital ne se « dévoile » comme fétichisme que dans la mesure où elle apparaît comme historique dans la lutte du prolétariat en tant que classe, c'est-à-dire que dans la mesure où ne se « dévoile » pas la « vérité » d'un monde existant, mais la réalité possible d'un autre monde dans la destruction de la réalité du fétichisme. La démarche de Marx n'est pas « comparative », ou alors la comparaison n'est qu'une détermination d'une démarche expressément historique (ou « génétique » comme il qualifie lui-même sa méthode dans le Théorie sur la plus-value, t. 3, p. 589), parce que l'histoire est là, dans le fétichisme, comme la contradiction entre le prolétariat et le capital, comme abolition de ce qui existe. Seule cette contradiction peut poser le fétichisme pour lui-même à l'intérieur du fétichisme, c'est-à-dire au-delà de la simple compréhension du secret de la loi de la valeur.

 

La lutte de classe du prolétariat n'est pas révélation et déchirement du fétichisme découvrant le « vrai », mais, en tant que mouvement du communisme en ce qu'elle a pour contenu et but l'immédiateté sociale de l'individu, c'est-à-dire l'abolition de toute extériorité du caractère social de l'individu, elle est construction d'un « autre monde » en tant qu'activités humaines concrètes. Le prolétariat ne connaît pas le monde « vrai » sous le fétichisme, il connaît le monde comme praxis parce qu'il le construit ainsi en se comprenant lui-même comme appartenant au monde du fétichisme devenu le monde d'une contradiction entre les classes, et parce qu'il se comprend ainsi. Debord a besoin d'un « point de vue » parce qu'il comprend le fétichisme comme le voile d'une réalité vraie, démarche inhérente à la théorie du spectacle : « L'apparence fétichiste de pure objectivité dans les relations spectaculaires cache leur caractère de relation entre hommes et entre classes : une seconde nature paraît dominer notre environnement de ses lois fatales » (Debord, op. cit., thèse 24). Mais, par ailleurs, il est parvenu à la conception du spectacle comme totalité de la réalité existante, il a lui-même exclu qu'il puisse y avoir dans la société spectaculaire un « point de vue » non spectaculaire (contrairement aux conceptions plus immédiates de Vaneigem, Frey ou Garnault). « La séparation est l'alpha et l'oméga su spectacle. » Il s'oblige par là à concevoir un « point de vue » abstrait, c'est-à-dire une nature humaine qui serve de point référentiel pour pouvoir dire « il y a spectacle ». À savoir une référence qui en tant que telle ne soit qu'une abstraction et ne possède aucune existence immédiate dans le spectacle.

 

Le spectacle est chez Debord un substitut aux relations vivantes « normales » entre les hommes, mais qui ne laisse pas subsister ces relations. Le cercle vicieux dans lequel s'enferme Debord provient de sa conception « classique » du fétichisme comme voile ou comme masque, alors qu'il n'en accepte pas la conclusion : l'existence immédiate d'une « réalité vrai ». Les relations sociales sont remplacées par des relations entre les choses ; les choses-marchandises sont une représentation de l'activité sociale. La conclusion classique consiste à dire : la manière dont les choses-marchandises représentent les relations sociales est impropre, car le travail mort se substitue aux relations vivantes. Mais Debord ne conclut pas ainsi : le spectacle façonne à son image le monde qu'il représente, la représentation n'est pas impropre (cf. la suite de la thèse 24). Alors, qu'est-ce que le spectacle masque, et comment puis-je même dire que le spectacle masque quelque chose ?

Par Max L'Hameunasse
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Published by coutoentrelesdents - dans CAPITALISME

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