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31 mars 2013 7 31 /03 /mars /2013 16:32

Du doux confort de l’indignation

« Indignez-vous !« 

Ah, voilà bien deux mots qui vont résonner encore longtemps à nos oreilles. Après le succès mondial de l’ouvrage de Stéphane Hessel et son récent départ, le mot indignation n’est pas près de nous quitter. Tout le monde est désormais indigné, les motifs ne manquant pas : injustices, désinformation, WiiU… chacun trouve une bonne raison d’être outré et de crier sa colère.

Oui, mais alors pas trop fort. C’est qu’il ne faudrait pas déranger ma bonne dame.

Car depuis la fin des indignés, ces immenses rassemblements de jeunes gens venus clamer leur colère un peu partout dans le monde sous les symboles du pouvoir (bourses, places d’armes, pas de ma porte), il est de bon ton de s’indigner en ligne et pas plus, depuis le confort de son fauteuil, en faisant les gros yeux à son écran. Nul doute que celui-ci tremble.  Car entre les pétitions online rassemblant 687 signatures avant qu’une version identique ne soit créée sur un autre site et ne disperse les troupes, le militantisme se résumant à cliquer sur j’aime à chaque publication de son camp pour faire tourner la bonne parole ou les articles hurlant à l’injustice avant que leur propriétaire ne retourne pioncer, il y a quand même le choix.

Ainsi, hier, quelques lecteurs et lectrices me firent l’honneur de me faire suivre unarticle indigné, repris par de nombreux médias en ligne, faisant état d’un problème intéressant : le sexisme dans le jeu vidéo. Rassurez-vous, nous n’allons pas rentrer dans un autre article sur le sexisme de suite, ni parler de l’auteur qui a réussi l’exploit, une heure après avoir posté la bête, de réutiliser tous les arguments qu’elle reprochait à l’ennemi, donnant un excellent prétexte aux grognons de sa critique pour la passer sous le tapis quand bien même le contenu était fort intéressant, et plutôt nous concentrer sur cette formidable capacité d’indignation dont font preuve nos comparses, de préférence sur leurs heures de boulot parce que Facebook à la maison, ça n’a pas la même saveur.

Prenons un exemple simple : Frites Boy et ses joyeux compagnons.

1 million de likes contre un chiot, 2 millions est c’est un tigre nourri au yaourt qui est livré sur place après avoir été excité avec un bâton

Ne vous inquiétez pas : les marmots ont bien évidemment eu leur million de likes, parce que Facebook s’est mobilisé pour qu’une petite famille ait son chiot et non simplement une distribution de torgnoles comme je l’avais proposé en proposant sur kick-starter de financer une compagnie de mercenaires pour aller gifler des gens sur commande où qu’ils soient dans le monde. Non, je ne suis pas jaloux du tout de leur million de mobilisés, arrêtez avec ça. D’ailleurs, vous savez ce que ça représente, un million de likes ? Le nombre de personnes qui doivent se mobiliser, fut-ce en ligne justement, pour proposer des « Initiatives Citoyennes Européennes« , à savoir des propositions qui invitent si elles atteignent ce score, la Commission Européenne à faire une proposition de loi applicable à tous les pays de l’Union Européenne (et oui, l’aide humanitaire faisant partie des compétences de l’UE, on aurait pu larguer des chiots sur différents pays du tiers-monde, soulageant temporairement la famine locale).

Une proposition de loi qui peut changer la vie de 500 millions d’habitants, voire créer un exemple mondial ? Attendez, c’est quand même drôlement moins intéressant qu’un chiot pour Frites Boy. D’ailleurs, on pourrait supposer qu’une telle arme serait utilisée massivement par les millions de militants en ligne qui postent régulièrement des choses à base de « Qui osera partager ?« , mais non : à l’heure actuelle, malgré la horde des courageux indignés 2.0, seules 14 consultations de ce type sont en cours.

C’est peu, hein ? Je trouve aussi. Et bizarrement, je ne vois jamais de propositions de ce genre tourner : faudrait pas être concret.

Comme quoi, même avec des outils en ligne pour agir concrètement, nos indignés de Facebook et Twitter en restent surtout au vieux râlage, parce que s’il faut commencer à agir vraiment, pfouuulala. Ça va bien demander une journée de travail, et là, bon, hein. Autant faire, au mieux, 62 pétitions sans valeur juridique sur un même sujet : on pourra aller se coucher en se disant qu’on a participé à construire un avenir meilleur. Ou une flash-mob rigolote, genre un harlem-shake (ma compagnie de mercenaires aurait définitivement eu du travail), huhuhu.

Sauf que non.

Informer, c’est bien : cela peut amener des lignes à bouger, des choses à être prises en compte, mais agir, c’est pas mal non plus. Non parce que sinon, nous serions toujours sous une monarchie. Et les héros du web ont beau relayer les « révolutions arabes grâce à Facebook« , curieusement, tout le monde se souvient des gens qui se sont immolés ou pris des balles ; drôlement moins de ceux qui ont posté des articles à aimer sur leur mur. On se souvient tous que Mouammar Kadhafi a vu sa dictature s’arrêter grâce à un relais massif de gif de chatons, c’est connu. Le web a son rôle, le monde réel aussi. Et si l’un peut faire remuer l’autre, se contenter d’un pantouflage numérique n’est guère glorieux.

Dans leur genre, les Anonymous sont d’ailleurs très forts, n’hésitant pas à poster des vidéos où ils crient presque victoire et où ils expliquent qu’il faut continuer à les soutenir depuis chez soi sans quitter son fauteuil : tout va bien. Ouf ! Dire qu’à un moment, j’ai cru qu’il fallait se remuer pour changer les choses : merci de contribuer à faire avancer le débat les mecs. Inciter les gens à faire du rien, c’est tellement révolutionnaire. La prochaine fois, nous verrons comment renverser le capitalisme en préparant des cookies.

Revenons-en au fameux article sur le jeu vidéo dont nous parlions plus haut. Dedans, l’auteur s’indigne – à raison – sur le fait que dans quantité de jeux, les héroïnes sont habillées en puputes/nonnes-puputes/puputes-rabouines (oui, on peut biclasser) avec un soutien-gorge avoisinant le 95K, ce qui m’indigne aussi puisque du coup la plupart des jeux ressemblent à une galerie de mes ex, mais là n’est pas le sujet. Elle ajoute, là encore à raison, que quantité de communautés et entreprises du milieu se comportent comme des groupes d’adolescents prépubères en échangeant sur des forums qui sentent bon le vieux pet, la mauvaise bière et le calembour gras et en considérant la femelle comme une cible à se faire d’une manière ou d’une autre (même si en général, la plupart de leur haine s’en ira dans un mouchoir pendant que maman est partie racheter du Biactol chez Carrefour). Pour conclure, l’auteur propose des solutions comme se plaindre en ligne, râler en ligne, voire signaler ces abus( en ligne).

Ce qui serait chouette si le monde n’était pas vaguement plus compliqué (ce qui n’a pas empêché quantité de médias de s’emparer de l’affaire en analysant pas plus loin et se contentant de dire « C’est édifiant tout de même » : oui, de l’indignation, ça c’est du vrai travail de journaliste), puisqu’un sujet n’est jamais, mais alors jamais évoqué dans ledit article sur une industrie brassant des milliards de dollars : le pognon.

Un détail, probablement. Restons en à l’indignation, c’est plus simple que de mettre les mains dans le cambouis.

LXVI

Aaah, si Twitter avait existé en 1789… (cliquez pour lire en plus grand)

Lorsqu’un patron de l’industrie du jeu vidéo se lève le matin, il ne se dit pas « Tiens, si je faisais chier aujourd’hui ! » avant de regarder Twitter en se disant « Ho non ! Des gens ne sont pas contents : vite ! Je dois changer tout cela et faire des jeux où l’on pourrait croiser des personnages féminins qui ressemblent à autre chose qu’à Nabilla sous acides !« . En général, le patron se lève, va prendre sa douche de champagne (l’enfance de l’art), puis se dit « Tiens, qu’est-ce qui va me rapporter du pognon aujourd’hui ? » et si coller des filles en minijupes fait bondir ses ventes, il se moque un peu de savoir s’il va faire plaisir à tout le monde ou non. Ce qu’il veut savoir, c’est s’il va pouvoir se payer une maison à Malibu.

Du coup, savoir que pour une personne indignée par la nouvelle poitrine de son héroïne, il vend son bousin à deux autres, ça ne le touche pas vraiment à partir du moment où ça suffit à remplir le tableau Excel de Gégé de la compta.

Et s’indigner en ligne, à moins d’appels massifs au boycott (rarement suivis, surtout dans l’industrie du loisir), ça revient un peu à se donner bonne conscience. Un peu comme filer 5€ au Téléthon une fois par an avant de laisser des partis baisser les budgets de la recherche. C’est choupi, mais ça n’aide pas vraiment à faire avancer le fond de l’affaire.

Résumons : une partie du monde du jeu vidéo utilise l’image de la femme de manière dégradante pour faire du pognon (par un curieux hasard, souvent les jeux traditionnellement majoritairement aux mâles, sûrement une coïncidence qui n’a rien à voir avec des affaires de gros sous, du coup autant ne pas en parler). Alors on dit que bon, les mecs, ça serait sympa que vous arrêtiez, parce qu’attention, on va le dire sur Twitter.

Non.

Car de manière fort amusante, dans les solutions proposées par l’article en question, probablement nourri au militantisme 2.0, il n’est jamais question d’agir à part en « signalant ». Monter sa boîte et montrer que l’on peut faire des jeux vidéos autrement ? Faire des projets dans le monde réel ? Lutter sur le même terrain ? S’engager pour changer l’industrie et passer des messages moins glauques que « Et là, tu peux appuyer sur A pour faire bouger les roploplos de la fille » (joueur de Dead or Alive, tu t’es reconnu petit fripon) Mais enfin ! Ça demanderait de remettre en jeu sa vie personnelle et professionnelle… bin non alors ! Moi je suis pour que ça change, mais sans mouiller ma chemise alors !

Vous savez, c’est un peu l’histoire du type qui crève de faim et qui d’un coup, voit quelqu’un passer dans la foule qui dit :

« Cet homme meurt de faim ! Il faut faire quelque chose !
- Bin partagez votre pain ?
- AH NON ALORS C’EST LE MIEN ! C’EST A QUELQU’UN D’AUTRE DE LE FAIRE ! »

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Si le capitaine d’industrie qui diffuse aujourd’hui un message pourri avait pensé pareil, jamais il ne serait arrivé là où il est. Et jamais il n’aurait diffusé son caca. Gueuler depuis les collines, c’est sympa, mais c’est rarement comme ça que l’on gagne la bataille, Web William Wallace.

Être indigné, c’est cool. Et sans risques, à part éventuellement celui de faire parler de soi. Mais à un moment, il faut y aller. Prenez un exemple débile : les séries policières américaines. Durant des années, on a servi la même soupe caricaturale. Un jour, un type en a marre et décide d’y aller : il propose sa propre série qui colle au terrain et montre les choses sous un autre jour pour démystifier les choses. Pouf, succès mondial, et d’autres séries – pas toutes, loin de là ! – essaient de le suivre depuis, parce qu’il a montré qu’on pouvait faire bien et autrement et a ouvert une voie. Ça s’appelait The Wire. Et ça a mieux fonctionné que plus de 30 ans de ralages de professionnels sur le n’importe quoi caricatural qui était produit.

Autant ne pas parler des exemples qui ont eu des résultats concrets : encore une fois, faudrait pas déranger.

Facebook et Twitter, ainsi qu’une certaine notion de communication ont permis de faire tourner rapidement des informations à une vitesse proprement incroyable, ce qui est très bien, même si du coup, on y retrouve aussi du n’importe quoi. Désormais, même un vieil enfumage sur le RSA peut se retrouver partagé plusieurs millions de fois avant que quelqu’un ne constate qu’il s’agit d’une sorte d’étron numérique que l’on se passait gaiement de main en main. Et les mêmes personnes qui ne répondent pas sur leur boîte mail aux spams du professeur N’Gomma qui leur propose de récupérer 8 millions de dollars à la banque de Bamako depuis le décès de feu son employeur sont les premiers à aimer la page « Bonjour, nous avons 5 Lamborghini mais il manque le filtre de protection sur le volant on ne peut donc pas les vendre. Cliquez sur j’aime et choisissez une couleur et recevez peut-être la vôtre si vous êtes notre gagnant tiré au hasard« . Parce que les réseaux sociaux sont devenus l’enfer du « J’aime » et du « Je partage » où finalement, l’important est de le faire, pas de s’inquiéter de savoir si c’est pertinent. Encore un détail.

J’ai bien milité aujourd’hui, pfou, je suis fatigué.

Alors définitivement, militantes & militantes 2.0, diffuser des choses, c’est vraiment très sympa (genre cet article, d’ailleurs si j’ai un million de likes, j’offre un cigare de ma collection à un lecteur tiré au hasard, évidemment). Continuez, il y en a besoin

Mais passer à l’action, ce serait pas mal non plus, particulièrement lorsque l’on voit tous les outils à disposition que vous n’utilisez pas pour des raisons vaguement suspectes. Vous avez des réseaux sociaux pour vous organiser et des outils pour agir. En rester au premier niveau, ça revient à suivre l’actualité : c’est bien mais ça ne changera pas le monde. En plus, râler, c’est un peu mon pré carré, alors barrez-vous de là.

Surtout qu’il faudrait vraiment une équipe de gros nases pour céder à une simple mobilisation Twitter comme de vulgaires pig…

Ho, monde de merde.

vu sur http://odieuxconnard.wordpress.com

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Published by coutoentrelesdents - dans LUTTES

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