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30 avril 2013 2 30 /04 /avril /2013 10:37

Représentation luttes italiennes de 70′s

Bonjour,

Le Resto-Trottoir vous invite à venir découvrir l’INTERVENTO.

L’INTERVENTO c’est une compilation de textes, chants, images, témoignages sur les luttes autonomes italiennes dans les années 70.

Ça se passe :
le DIMANCHE 12 MAI à 16H dans les locaux de RADIO BIP 14 rue de la Viotte (la petite rue juste en dessous de la gare. ENTRÉE LIBRE

La représentation sera suivie d’un apéro grignotage puis d’une discussion sur les liens entre les luttes des années 70 et les luttes actuelles.

Merci de faire tourner l’info.

À bientôt

Présentation de l’INTERVENTO

Le mouvement autonome italien est peut-être l’un des mouvements de lutte les plus puissants de l’histoire récente occidentale. Fort de ponts exceptionnels entre étudiants et ouvriers, “autonome” des partis et des syndicats, massif et violent dans ses modes d’actions, il fera durer mai 68 pendant dix ans. Ce sont les “hordes païennes” de jeunes immigré-e-s du Sud qui paralysent les usines, revendiquant le refus du travail, remettant à l’ordre du jour les pratiques d’action directe qui avaient secoué les mêmes industries en 1920 avant de s’endormir sous le fascisme. Ce sont des quartiers entiers qui, face à l’inflation, refusent de payer les loyers ou les factures. C’est une irruption tonitruante des femmes, homosexuel-le-s, jeunes et chômeurs-ses sur la scène politique. Ce sont des analyses précises et originales de la transformation de l’économie occidentale. C’est une explosion des radios libres qui se font “la voix des sans-voix” tout en jonglant avec l’ironie et la philosophie. C’est enfin le tournant de 1977, les émeutes, les chars blindés à Bologne, une répression féroce : un mouvement étranglé qui n’a plus d’autres issues que la fuite, l’héroïne ou la clandestinité. Beaucoup “d’autonomes” passeront des années en prison, sans manquer d’en faire encore un lieu de luttes.

Des lectures tirées de plus de 15 ouvrages différents et entrecoupées de sons et d’images permettront, chapitre après chapitre, d’avoir un aperçu de l’atmosphère brûlante de l’époque et d’approcher les questions qu’elle nous pose aujourd’hui.

Resto Trottoir

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Published by coutoentrelesdents - dans LUTTES TOTO EVENEMENT
29 avril 2013 1 29 /04 /avril /2013 10:52

Avant l’effervescence de l’Autonomie italienne, l’opéraïsme tente de renouveler la pensée marxiste pour réfléchir sur les luttes ouvrières. Ce mouvement politique et intellectuel se développe en Italie dans les années 1960. Il débouche vers une radicalisation du conflit social en 1968, et surtout en 1969 avec une grève ouvrière sauvage. Si le post-opéraïsme semble relativement connu en France, à travers la figure de Toni Negri et la revue Multitudes, l’opéraïsme historique demeure largement méconnu.

Mario Tronti revient sur l’aventure de l’opéraïsme, à laquelle il a activement participé. Son livre articule exigence théorique et témoignage vivant. Il décrit ce mouvement comme une « expérience de pensée - d’un cercle de personnes liées entre elles indissolublement par un lien particulier d’amitié politique ». La conflictualité sociale et la radicalisation des luttes ouvrières doit alors permettre d’abattre le capitalisme.

Un communisme hétérodoxe en marge du Parti

A l’inverse des intellectuels académiques et de la banale critique universitaire, les théoriciens de l’opéraïsme estiment que leur réflexion doit servir la lutte collective et le mouvement ouvrier. Mario Tronti évoque « une révolution des formes intellectuelles ». Ses théoriciens communistes tentent se lier au prolétariat qui, en s’émancipant lui-même, doit émanciper l’humanité toute entière selon Marx.

L’année 1956 marque un tournant qui fait vaciller les certitudes des intellectuels communistes. Les dirigeants de l’URSS reconnaissent les crimes de Staline. Surtout, une révolte ouvrière éclate en Hongrie avant de subir la violente répression du pouvoir bolchevique. La mascarade du « communisme réellement existant » s’effondre brutalement. Au sein du Parti communiste italien (PCI), des intellectuels contestent la ligne politique. Le rôle du Parti pour diriger la classe ouvrière est remis en cause. Ce sont les luttes ouvrières qui doivent directement déboucher vers la révolution sociale.

Bien que partisan de l’autonomie ouvrière, Mario Tronti décide de rester malgré tout militant du PCI. Il conserve probablement l’illusion de pouvoir faire infléchir la ligne du parti en sa faveur. Mais des groupes se forment pour développer une réflexion propre. Les revues Quaderni Rossi et Classe operaïa incarnent cette ébullition politique et intellectuelle en marge du PCI. Dans ses petits groupes Mario Tronti côtoie des luxemburgistes proches du communisme des conseils, des syndicalistes révolutionnaires et divers penseurs libertaires. Raniero Panzieri incarne ce marxisme hétérodoxe et anti-autoritaire. Le concept de « contrôle ouvrier » rassemble ses divers intellectuels. Mario Tronti décrit une ambiance de débats et de joie de vivre. « Lors de nos rencontres, nous passions la moitié du temps à parler, l’autre moitié à rire », témoigne Mario Tronti. Comprendre le monde doit alors permettre de renverser l’ordre social.

Contre les partis et les syndicats, les luttes ouvrières à la base sont privilégiées. Le PCI, loin de se référer au communisme révolutionnaire, assume pleinement son réformisme. De plus, ce parti semble déconnecté des véritables aspirations de la classe ouvrière. Contre ce communisme frelaté, l’opéraïsme tente d’inventer une nouvelle culture de lutte.

Les luttes sociales comme moteur

Pour le mouvement opéraïste, la lutte prime sur l’analyse du capitalisme. « Une explosion de subjectivité, un saut politique dans le sujet : c’est ainsi que nous lisions les évènements des années soixante qui allaient se produire 1968-1969 », décrit Mario Tronti. La crise du capitalisme ne peut provenir que d’un renversement du rapport de force.

Mario Tronti revient sur la révolte de 1968, « quand l’histoire surgit dans la vie même, quand la politique s’impose à l’existence ». Les étudiants se révoltent en 1968. Mais, dans les usines, les jeunes émigrés du Sud de l’Italie semblent particulièrement contestataires.

Pourtant, la révolte de 1968 ne débouche pas vers une perspective de rupture révolutionnaire. « Une fois encore : ce qui a manqué c’est l’intervention décisive d’une force organisée. Cette force ne pouvait être que le mouvement ouvrier, dans la figure et forme de sa composante communiste post-stalinienne », estime Mario Tronti. Surtout, le mouvement étudiant n’invente aucun projet de société alternatif au capitalisme. Aucune nouvelle organisation sociale ne se dessine. « Ne pas porter l’imagination au pouvoir, mais donner du pouvoir à l’imagination, en évoquant une forme sociale et d’autres formes de la politique par rapport aux capitalismes et aux socialismes réalisés. Alors, un autre monde était possible », analyse Mario Tronti. Ce mouvement de 1968, limité au milieu étudiant, semble alors éloigné des aspirations de l’opéraïsme finissant. « Étudiants et ouvriers unis dans la lutte » devient le mot d’ordre de l’automne chaud de 1969. Cette perspective enthousiasme davantage les opéraïstes.

Mario Tronti précise ensuite le contenu politique de l’opéraïsme. Ce mouvement se réfère constamment à la classe ouvrière, non pas pour exalter un certain misérabilisme, mais pour généraliser des pratiques de refus du travail. « Ce qui nous motivait n’était pas la révolte éthique contre l’exploitation que les ouvriers subissaient, mais l’admiration politique pour les pratiques d’insubordination qu’ils s’inventaient », souligne Mario Tronti. Ses intellectuels s’attachent à la guerre de classe qui oppose ouvriers et capital dans la grande usine. « Dans la lutte des classes, ce qui nous enthousiasmait c’était la classe en lutte », résume Mario Tronti. Les opéraïstes sont particulièrement séduits par la contestation de la hiérarchie et de l’autorité dans l’entreprise, par la critique des cadences et du travail à la chaîne avec son aliénation à la machine. Le sabotage, la grève sauvage et le refus du travail deviennent alors des armes privilégiées par les ouvriers. « La lutte ouvrière contre le travail est le grand thème évoqué par l’opéraïsme », souligne Mario Tronti.

Le bilan du mouvement ouvrier révolutionnaire

Le théoricien marxiste revient ensuite sur les raisons de la défaite du mouvement ouvrier. Aucune structure autonome par rapport au capital ne permet aux ouvriers de s’organiser. Les soviets et les conseils doivent permettre de sortir du capital, mais ses formes d’organisations ne perdurent pas. Ensuite la société marchande, avec son aliénation, semble beaucoup plus forte que la culture de lutte des ouvriers. Les travailleurs sont également soumis à la technique et à la machine. Les traditions, les croyances religieuses, les appartenances ethniques contribuent à diviser la monde ouvrier et l’identité de classe.

Les usines et le monde industriel ont été démantelés. Pourtant, Mario Tronti s’attache à préserver et à faire vivre la mémoire des luttes ouvrières. « S’y trouve le patrimoine d’un héritage historique qu’il faut récupérer et réinvestir dans un autre agir pour cette même fin », estime Mario Tronti. Le mouvement ouvrier révolutionnaire demeure un vivier de lutte et de réflexion critique indispensable pour réinventer la révolution sociale.

La figure de l’ouvrier-masse, valorisée par l’opéraïsme ne semble plus aussi importante et centrale. La concentration des travailleurs dans les usines permet de former une classe ouvrière qui, même si elle ne comprend qu’une minorité de la population, lutte pour ses intérêts qui débouchent vers une émancipation de toute la société. Les usines ont aujourd’hui disparu, remplacées par des déserts existentiels et des espaces cloisonnés. « La grande usine est le contraire de ses non-lieux qui configurent la consistance, ou mieux l’inconsistance du postmoderne », souligne Mario Tronti.

L’auteur définit l’opéraïsme. « C’est une expérience qui s’est efforcée de réunir pensée et pratique de la politique dans un cadre déterminé, celui de l’usine moderne », résume Mario Tronti. La classe ouvrière apparaît alors comme le seul sujet révolutionnaire capable de renverser le mode de production capitaliste. Les années 1960 en Italie se caractérisent par une forte industrialisation. Les jeunes paysans du sud migrent vers le nord industriel. Le fordisme s’appuie sur une production de masse qui s’accompagne d’une consommation de masse.

Combattre l’aliénation moderne

L’ouvrier à la chaîne apparaît comme une figure centrale pour les opéraïstes. « Là où l’aliénation du travailleur atteignait son plus haut niveau. Non seulement l’ouvrier n’aimait pas son travail, mais il le détestait », précise Mario Tronti. Lerefus du travail menace alors directement le rapport de production capitaliste. La lutte contre le travail distingue l’opéraïsme dans le mouvement ouvrier traditionnel, pour en devenir un courant singulier voire hérétique. Pour les opéraïstes, comme pour Marx, le prolétariat en s’émancipant lui-même doit émanciper toute l’humanité. Aujourd’hui la classe ouvrière demeure une partie importante de la société, mais n’apparaît plus comme un sujet politique. Pourtant le mouvement ouvrier et le communisme demeurent un spectre toujours menaçant. Si les capitalistes ont accueillis la gauche dans les palais du pouvoir, ils se sont acharnés à liquider le mouvement ouvrier.

L’opéraïsme connaît un regain d’intérêt aujourd’hui. Ce mouvement s’appuie sur un point de vue ouvertement partial et exprime la subjectivité ouvrière. Il s’attache également à articuler pensée et action. Surtout, les opéraïstes insistent sur la dimension essentielle du conflit. Dans la société moderne, c’est le règne de la pacification et de la vie aseptisée. « Il y a une mythologie de l’opéraïsme dans toutes les expériences du mouvement contestataire, dans ses expériences où est identifiée, de manière forte, l’exigence d’une reproposition de la pratique du conflit», observe Mario Tronti. Dans une période de normalité réformiste, l’opéraïsme permet surtout de raviver l’exigence du conflit, liée à la tradition révolutionnaire du mouvement ouvrier. Le conflit permet de refuser l’assimilation et l’intégration à la société marchande.

Dans la société moderne, les normes néolibérales colonisent tous les domaines de la vie. Dans ce contexte, l’affirmation d’une subjectivité de lutte et du conflit avec l’ordre existant deviennent des armes indispensables. L'Autonomie italiennepropose ensuite d'affirmer une subjectivité radicale pour bouleverser tous les aspects de la vie.

Source: Mario Tronti, Nous opéraïstes. Le « roman de formation » des années soixante en Italie (traduit de l’italien par Michel Valensi), Éditions d’en bas et Éditions de l’éclat, 2013

Articles liés :

Insurrection des désirs dans l'Italie des années 1970

Lutter et vivre dans l'autonomie italienne

Témoignages sur la lutte armée en Italie

Pour aller plus loin :

Jacques Wajnsztejn, "A nouveau sur l'opéraïsme", publié sur le site de la revueTemps critiques en juillet 2010

John-Samuel McKay, "L'opéraïsme italien", publié dans la revue Que Faire ? n°4 août / septembre 2004

Michele Filippini, "Mario Tronti et l'opéraïsme italien des années soixante", publié sur le site Europhilosophie le 5 août 2010

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Published by coutoentrelesdents - dans LUTTES TOTO
2 juin 2012 6 02 /06 /juin /2012 15:44
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2 février 2012 4 02 /02 /février /2012 12:39
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16 janvier 2012 1 16 /01 /janvier /2012 12:46

Article paru dans le Nouvel Observateur, n°683, daté du 12 décembre 1977. (Nous l’avons en version scanné pour ceux qui seraient intéressés)

Petits-fils désespérés de Mai 68, héritiers de l’anarchie, ils crient : « Oui, Baader était un camarade. »
Ils revendiquent la violence, par la parole et par les actes

Il n’a pas tout à fait vingt ans, manie le cocktail Molotov dans les manifestations, dit, scande : « Oui, Baader était un camarade », et se reconnait dans ces « autonomes » italiens qui, à coups de « P. 38 », partent à l’assaut du « compromis historique ». Gilles est l’un de ces « autonomes » français dont les militants de la Ligue communiste révolutionnaire disent :« Avec eux, a se règlera à coups de barre de fer. ».
Son existence, il la crache en rafales, avec l’agressivité des meurtris et — pour combien de temps ? – la rage de convaincre : une « communale » de la banlieue parisienne, puis l’école des enfants de pauvres. Ce C.E.T., morne, discipline, sans espoir mais miraculeusement secoue, au printemps de 1973, par une révolte joyeuse, si belle, si riche que ce ne pouvait être la sienne, celle des collégiens du rebut. On l’avait d’ailleurs appelée « la révolte des lycéens » pour que nul ne s’y trompe.
Un temps, Gilles, en mal de révolté, est resté militant d’un petit groupe maoiste, avatar éphémère d’un grand mouvement né dans les séminaires de la rue d’Ulm : pas pour lui, pas son monde. « Dans les organisations d’extrême gauche, dit-il, il n’y a que des bourgeois, petits ou grands ». Il a connu le chômage, celui des « jeunes nouveaux venus sur le marché de l’emploi », comme disent à la télévision ceux qui y parlent – jamais lui. Un jour, c’était l’année dernière, il trouve un travail sur une chaine métallurgique. Mais, lorsqu’il a éternué, la France ne s’est pas enrhumée : sa grève sauvage l’a remis, mauvaise tête, dans la file d’attente de l’Agence nationale pour l’Emploi avec quelques copains, ses complices. On lui propose une première place, au S.M.I.C. ; une deuxième, au S.M.I.C. ; une troisième, au S.M.I.C. Avant, il gagnait deux mille francs, et il a donc – « je ne suis pas un esclave ! » – refuse trois fois, c’est-à-dire une de trop : « Ils m’ont sucré les indemnités, ces salopards. »

Mauvais, très mauvais

Alors, dit Gilles, « moi, je rends coup pour coup à l’Etat ». Et quand l’un de ses copains de, « la bande des loub » (c’est ainsi qu’on les appelle, parmi les « autonomes » qui ne sont pas tous loubards) corrige : « Non, on n’attend plus qu’ils nous cognent, on cogne avant », acquiesce : « Bien ».
« Cogner », ce n’est pas du tout aller ouvrir le crâne des petits vieux dans leurs pavillons. Cogner, c’est prendre ce qu’on vous refuse ; les moyens de vivre, de bien vivre. C’est entrer par la sortie dans les cinémas, ceux des beaux quartiers. C’est aller diner non pas dans un « Wimpy » mais dans un vrai restaurant, et filer vite å la dernière gorgée de cognac (« faire baskets »), piquer les journaux, les bouquins, les fringues, pour soi, pour les copains, pour ceux et celles qu’on aime. C’est aussi, physiquement, « exprimer sa révolte ».
Vendredi 18 novembre, deux jours après l’extradition de Klaus Croissant, Gilles et sa bande sont aux premiers rangs de la manifestation. « Equipés », cela va sans dire, et mauvais, très mauvais : contre les vitrines trop rutilantes, les bagnoles, les flics, les banques surtout. Et contre le service d’ordre de la Ligue communiste, qui, après avoir tente de limiter les dégâts, relève plusieurs blessés sérieux. La Ligue, avec son « S.O. », son journal quotidien, son ancien candidat à la présidence de la République, ses futurs candidats aux législatives, son organisation bien rodée, bref, sa place conquise sur l’échiquier politique, condense tout le mépris des « autonomes », qui ne pardonnent pas cette « intégration » et accusent les « trotskards » de réver à « une bonne petite société de bureaucrates socialistes » : « Tout ce qu’ils savent faire, c’est se mettre à la remorque de l’Union de la Gauche. Après une saloperie comme Croissant, ils voulaient nous obliger å manifester dignement, à pleurer sur la méchanceté de l’État. Mais on le sait, que l’Etat est méchant ! Alors faut pas pleurer, ca sert à rien, faut répondre. » « Parce que “répondre”, ça sert à quelque chose ? » Là, Gilles s’est marre, un peu amèrement : « Raconte pas d’histoires ! Croissant, ils l’avaient expédié, et on n’allait pas le faire revenir. A la limite, Croissant, on n’en avait plus rien à foutre : c’était trop tard. Si on manifestait, pour montrer qu’on ne laissait pas passer ça sans réagir. Au prochain coup, ce ne sera plus le Molotov mais les flingues. Oui : les flingues. »
II est ce que vous voudrez, Gilles, mais pas idiot. II sait parfaitement que, s’il tire un jour, on tirera aussi de l’autre côte, et avec de plus gros calibres : « Peut-être que dans deux ans je serai mort, je sais. » Aucune importance. II a un regard étonne, ses copains aussi, et il dit : « La vie, je l’aime beaucoup ; mais les types de mon âge que je connais, ou bien ils sont déjà abrutis à dix-huit ans, ou bien on a fait d’eux des criminels, ou bien ils sont bouffis par l’héroine. Nous, on prêt à se battre, vivre le communisme tout de suite, et puis… de toute façon on n’a rien à perdre. Rien. » Et peut-être, pensent-ils, tout à gagner ; car l’espoir de voir le « mouvement » s’amplifier, de voir la révolte s’étendre et nourrir enfin une violence qui ne serait pas « militaire », comme celle de Baader, mais « politique », cet espoir, il l’a.

La gauche se tait

Heureusement, car si l’on espère encore convaincre, on ne commence pas forcement par tirer. « Tu sais courir ? » J’ai décline l’offre, et, en renversant deux chaises du bistrot nous étions, ils ont tous « fait baskets ». Difficile à dater, la naissance de l’« autonomie » en France. Peut-être l’assassinat, en 1972, devant les portes de Renault, de Pierre Overney, dont l’enterrement fut marqué à la fois par la dernière démonstration de force du gauchisme, la première action spectaculaire de noyaux clandestins – l’enlèvement de Robert Nogrette par la Nouvelle Résistance populaire – et la fin du grand rêve pacifique de Mai, brisé par le claquement d’une balle. « Ce jour-là, disent aujourd’hui les “autonomes” (ceux qui l’ont vécu et ceux auxquels on le raconte), nous n’avons ni su ni voulu répondre à la violence : nous avons reculé devant l’affrontement. » Le recul n’est plus de mise, désormais : les « autonomes » approuvent « l’exécution » du meurtrier de Pierre Overney, Jean-Antoine Tramoni, abattu en mars dernier par les Noyaux armes pour l’Autonomie populaire, les N.A.P.A.P. ( 1 ).
Une autre source de « autonomie », ce pourrait être Vive la Revolution (V.L.R.), ce courant du maoisme qui parlait du désir de chacun plus que de la prise d’un pouvoir dont on commençait à se méfier, appelait à « chasser les flics de nos têtes » et disait : « Tout, nous voulons tout, tout de suite », comme les « autonomes » disent maintenant : « Nous voulons vivre le communisme. » V.L.R. s’était dissous pour laisser vivre les communautés, les mouvements de femmes, d’homosexuels, de squatters, de prisonniers, de psychiatrises, les comités de quartier ou d’usine, tous les désespérés, les écologistes et bien d’autres. Pendant cinq ou six ans, tous ces décentralisés de la revolution ont cultivé leur jardin ou développé leurs expériences, et puis il y a eu Malville : manifestation non violente, insouciante. Pas pour la révolution, juste contre un supergénérateur, contre le nucléaire, contre un choix grave, impose sans débat. Résultat : un mort, des amputés. Le réformisme, décidément, n’est pas plus facile que la révolution. Une rage a surgi, inconnue en Mai, faite, déjà, de solidarité avec ces jeunes Allemands si peu à leur place dans leur pays et qu’un préfet trop zélé assimilait à des nazis avant de les expulser.
Baader et ses camarades trouves morts dans leurs cellules, suicide ou assassinat, c’était trop : ils étaient frères des jeunes rebelles français, enfants de la même révolte qui se cherche depuis les années 1960, fourvoyés surement mais, certainement, tombés victimes du même ennemi — l’État, celui de Giscard ou de Schmidt —, de la solidarité dans la répression et de l’exclusion de ceux « qui pensent autrement ». « Les dissidents, disent les ” autonomes”, existent aussi à l’Ouest » : manière de saluer ceux de l’Est tout en rappelant qu’on existe. Devant ces morts, la gauche, pour laquelle Baader était tout sauf un camarade, se taisait. L’extrême-gauche, mal à l’aise, se démarquait autant qu’elle protestait. Un communique dans « Liberation », signe de l’Organisation communiste libertaire (O.C.L.) – le seul groupe politique accepté dans l’« autonomie » appelle à une réunion tous ceux qui veulent réagir. Désormais, les « autonomes » ont leur dossier aux .Renseignements généraux.

Pour beurrer l’entrecôte

Et c’est parti. Parti pour une manifestation gare Saint-Lazare, pour l’occupation de « Libération » – meurtre symbolique de l’humanisme libéral porte par ce rameau-là de Mai -, pour une coordination régulière tous les lundis. Arrive ensuite la manifestation Croissant, le chahut au meeting de la Ligue des Droits de l’Homme, des assemblées générales, et même un journal : « l’Officiel de l’Autonomie » ! Dans la révolte brute, confusément, une volonté politique se dessine. Un militant de l’O.C.L. : « Jusqu’alors, l’initiative des apparitions publiques appartenait à la Ligue et aux autres organisations. Maintenant, nous pouvons prendre nos propres décisions. » Décisions ambitieuses ! Un membre du bureau politique de la Ligue ironise : « S’ils veulent fédérer les mouvements des femmes, des squatters, des psychiatrises, je leur souhaite du plaisir. »
Jeudi 24 novembre, six jours après la manifestation Croissant, amphithéâtre 34 de la faculté de Jussieu, assemblée générale convoquée dans « Libération » par « des copains et des copines du cortège autonome ». Ces « autonomes »-là, qui ont presque tous, au moins, un morceau de licence en poche, forment une autre bande. Une autre histoire. Celle de gens qui se sont connus, l’année dernière, en formant un comité de chômeurs dans un arrondissement de Paris. Parce qu’ils pensent que nous sommes entrés, pour très longtemps, dans l’ère du « chômage endémique de masse », ils réclamaient non plus le droit au travail mais « le droit au salaire ». Leur unité a vécu. Ils ont entre vingt et trente ans, souvent un passé de militant d’extrême gauche, une solide méfiance envers le léninisme, une longue expérience du désespoir et, aussi, des petits boulots provisoires qui beurrent les entrecôtes « réquisitionnés »
La violence, ils sont décidés à « l’assumer ». Parce que « ce super-besoin de violence, il est dans nos têtes et dans nos mains, un besoin de casser tout ce qui donne prise, toutes les tentacules, tous les symboles, tout le silence, aussi, de cet État ». Mais ils refusent « d’être coincés dans la double spirale du “P. 38″ et du “compromis historique” des organisations ». Ils craignent que la violence ne finisse – par résumer l’« autonomie », qui doit aussi être heureuse et faite d’escarmouches quotidiennes. Le mystère de l’incendie des panneaux d’affichage Decaux, par exemple, est une page de 1′« autonomie »…

Un double col-blanc

A Jussieu, donc, ce devait être un débat ce fut un happening. Deux heures quinze minutes de thérapie par le cri autour d’un fond de bouteille soixante-huitard et d’un thême : « Des espaces infinis s’ouvrent à l’autonomie. » Pendant que les acteurs-spectateurs prennent place, un Malin souriant écrit au tableau noir : « Programme du cours : Qu’est-ce que l’autonomie ? Comment être un(e) bon(ne) autonome ? Un(e) méchant(e) autonome ? Les deux à la lois ? »
Un long jeune homme, sur les murs, écrit à la craie : « À bas l’autonomie phallocratique ! Vive les pédés ! » Un tract, de bonne facture situationniste, circule : « Casseurs, attention ! Un nouveau danger nous guette. » Le danger, c’est réapparition de « leaders autonomes », leur « empressement à se constituer en positivité politique » et le « détritus néo-gauchiste trop heureux d’hériter de troupes qui ne demandent qu’a en déborder ». Pour « en découdre », mais en plus fin.
Un « leader » en herbe prend la parole « Tout le monde en parle, l’idée d’autonomie a pris. S’il y a tant de monde ici, aujourd’hui, c’est qu’il y a une demande politique. L’autonomie, c’est un certain nombre de pratiques. Il faut que nous en discutions, au fond, même si c’est difficile. » Silence, bruits divers. Un doux, à l’air de col-blanc fauché : « Tout raisonnement politique conduit immédiatement au boulot, donc au Goulag : c’est la même chose. Nous devons rompre avec tout le discours politique traditionnel. Nous ne devons pas parler politique. » Un grand, moustachu : « C’est ça, quand l’État t’auras envoyé une “offensive” dans la gueule, on en recausera. »
Du fond gauche : « Vive les pédés ! » Du fond droit, une jeune fille sérieuse : « J’ai lu l’appel dans “Libé” , je suis intéresse par l’autonomie si ce n’est pas que la violence. Je voudrais qu’on me renseigne. » Les bruits sont devenus hurlements. Les squatters du XIVe arrondissement, qui se sont fait expulser le matin même « dans la plus complète illégalité », demandent que l’AG. soit lev »e pour qu’on aille tous rejoindre une manifestation en cours.
Après plusieurs appels sans succès, ils partiront seuls. Le doux col-blanc revient à la charge : « Quand je suis dans le métro, je ne me sens pas dans mon élément, j’ aimerais qu’on m’aide à me sentir dans mon élément. C’est ça, pour moi, l’autonomie. » Le moustachu : « Oh ! la ferme ! » Un petit barraqué : « La manif syndicale du 1er décembre, on y va, oui on non ? » Tollé presque général : « Tu choisis encore les échéances fixées par les autres. Y’en a marre ! »
Dans un coin, les animateurs de la revue théorique « Camarades », proche des expériences « autonomes » italiennes, deux ans d’âge et de plaidoyers en faveur de l’unité des « autonomies » françaises, prennent leur mal en patience : ça avance, doucement. Un jeune homme très délibérément froufroutant explique qu’il ‘est « autonome depuis dix ans parce que pédéraste » mais qu’il ne peut pas se reconnaitre dans cette assemblée « marquée par le culte de la virilité ».
Pas faux du tout : il partira avec ses amis, comme avant lui les squatters. Dans une travée du milieu, un gaillard plutôt punk aboie,en gesticulant : superbe symbole de
l’incommunicabilité régnante. Devant le tableau noir, un de la bande des « loub » inonde l’amphi avec un extincteur : « On coule ! » Une voix : « Nous sommes des paumés. » Une dizaine de parapluies noirs s’ouvrent : grand spectacle. Les « autonomies » en mal d’unité sont para1ysés par la crainte que leur désir d’agir ensemble débouche sur un nouveau parti, sur de nouvelles subordinations d’hommes et d’intérêts.
Pourtant, la « coordination » parisienne du lundi – trente groupes de quartier, de squatters, de femmes, d’écologistes, d’étudiants, d’ouvriers ou d’employés -, on arrive à s’entendre : « Les A.G., c’est le défoulement. Ici, nous avons jusqu’à présent réussit a prendre toutes nos décisions à l’unanimité » Attendons de voir. Mais il est vrai que les organisations d’extrême gauche se portent de moins en moins bien que la plus solide d’entre elles, la Ligue, voit son « créneau » politique menacé par la rupture de l’Union de la Gauche et le durcissement du P.C.
L’autonomie a le vent en poupe, dans cette couche sociale montante qui a fait le succès de 1′« autonomie » italienne et échappe à tous les appareils : celle des jeunes chômeurs des villes, dont la résignation n’est pas la vertu première, et de ces étudiants de plus en plus nombreux à devoir travailler pour payer des études qui ne leur serviront – ils le savent – à rien. Quelle différence y-a-t-il entre un fils d’ouvrier scolarisé jusqu’à seize ans ou dix-huit ans, sans emploi, et un fils de petit commerçant ou d’employé étudiant et futur chômeur ?
Presque aucune. ils parlent et s’habillent de la même façon, écoutent la même musique, ont les même ennuis avec la police, le même désenchantement, les mêmes appartements loués à plusieurs, les mêmes petits boulots du tertiaire en perspective, La même volonté, surtout, de se défendre seuls, de « ne pas laisser leur révolte se noyer dans la théorie » ; de rendre, comme dit Gilles, « coup pou coup ».

Le jeune prolétariat

Entre ce pavillon de la banlieue nord, loué en commun par une dizaine de membres du « comité autonome » d’une grande banque nationalisé, et cet immeuble parisien squatterisé par des étudiants de Tolbiac et de Jussieu, le langage est commun. A tort ou à raison, les uns et les autres estiment appartenir à une seule et même classe, le « jeune prolétariat », et parlent avec une colère identique et profonde du prix des loyers, de l’horreur solitaire des chambres de bonne, des services d’ordre des concerts, du racisme anti-jeunes, du chômage, de la dévalorisation des diplômes techniques ou universitaires, des assassinats d’immigrés, des accidents du travail impunis, du nucléaire, des tabassages dans les commissariats : de ce qu’ils appellent « le terrorisme de l’État ».
Les premiers se sont liés l’année dernière, à l’occasion d’une longue grève très dure qui a paralysé leur banque. Les seconds pendant les mouvements d’étudiants de 1976. Tous se connaissent et tous disent calmement, sans forfanterie, comme une évidence, qu’il est « normal de casser une banque », qu’un policier à la détente trop rapide doit savoir à quoi il s’expose, qu’un journaliste « qui choisit son camp doit assumer les risques de son choix » ou qu’un patron responsable de la mort d’un de ses ouvriers « ne doit pas pouvoir s’en tirer avec une simple amende ». Loi du talion, logique de Zorro.
« Coup pour coup », disent les « autonomes ».

Bernard Guetta

(1) Christian Harbulot, vingt-six ans, étudiant en droit consideré par la police comme membre des N.A.P.A.P. et comme l’auteur de l’assassinat de Jean-Antoine Tramoni — bien qu’il nie toute participation cette affaire — a été arrêté le 3 décembre.

JEUNES TOTOS FILENT SUR:http://goubligoubla.wordpress.com/

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16 janvier 2012 1 16 /01 /janvier /2012 12:40

Article paru dans le Nouvel Observateur, n°741, daté du 22 janvier 1979. (Nous l’avons en version scanné pour ceux qui seraient intéressés)

Ils sont tous deux des “autonomes”. Ils ont pris part, en toute connaissance de cause, à la manifestation qui a saccagé, samedi dernier, le quartier Saint-Lazare. Philippe, vingt-six ans, ancien élève d’un Institut universitaire de Technologie (I.U.T.) de province, est chômeur. Jacques, vingt-quatre ans, est employé de bureau dans un cabinet d’architecture. Nous leur avons demandé comment ils pouvaient justifier l’action insensée du samedi 13 janvier.

Le bilan est lourd : la peur chez les petits commerçants, des appels de la grande presse au renforcement des mesures répressives et de lourdes peines demandées par les plus hautes autorités de l’Etat contre vos quatre camarades qui seront jugés lundi. Est-ce cela, une action politique des “autonomes” ?

PHILIPPE. — Avec cette action, nous voulions nous attaquer à quatre cibles. D’abord, à la Direction générale des Impôts du boulevard Haussmann, prise comme symbole de l’agression gouvernementale que constitue la hausse vertigineuse des impôts. Ensuite, nous visions deux agences de travail intérimaire et une agence immobilière. Pourquoi ? Parce que les premières sont les pourvoyeurs de ce travail précaire que le patronat généralise actuellement et qui lui permet de diviser la classe ouvrière, d’ignorer ses droits acquis et d’organiser à son profit la mobilité d’une main-d’oeuvre licenciable sans difficulté du jour au lendemain. Quant aux agences immobilières, ce sont elles qui régissent le cycle expulsions-rénovations-inflation des loyers. Voilà ce que nous voulions.

Alors, pourquoi cette action de commando a-t-elle dérapé, lamentablement, dans un vandalisme aussi incompréhensible ?

JACQUES. — Eh bien, peut-être, justement, parce que nous n’avions pas voulu faire une action de commando mais, organiser une manifestation ouverte à tous ceux qui voulaient se joindre à nous. Nous avons donc passé la veille une petite annonce discrète dans “Libération” pour appeler à un rendez-vous secondaire à la fac de Jussieu. Une quarantaine de personnes se sont présentées, et nous sommes partis en métro rejoindre, à la gare Saint-Lazare, les divers collectifs organisés qui nous attendaient là. Malheureusement, nous nous sommes retrouvés moins nombreux que prévu, et nous avons démarré avec un quart d’heure de retard, à une centaine seulement, en commençant par défiler pacifiquement avec une banderole contre “la vie chère”. Six cents mètres plus bas, ,au début de la rue Caumartin, nous retrouvons le groupe qui nous attendait avec le matériel nécessaire (des “Molotov” et des barres de fer) pour détruire les objectifs fixés. Mais là, impossible d’agir vite et bien devant nous, un embouteillage monstre ; derrière nous, des automobilistes qui déjà, de rage, ne lâchent plus leur klaxon ;. sur les trottoirs, une foule compacte qui, elle, cherche les soldes et nous empêche donc — nous ne sommes pas des monstres sanguinaires — de lancer nos cocktails. Les copines (les femmes étaient nombreuses) s’en prennent, c’est leur problème, à un cinéma porno. Des mecs commencent à descendre des vitrines de luxe non programmées. D’autres, pas d’accord avec ces improvisations, abandonnent leur “matos” (1). Un concert de sirènes d’alarme se déclenche et accroît la confusion générale : la nôtre et celle des passants. En plus, patatras, le petit truc pas prévu du tout : deux bagnoles de flics, stationnées là pour surveiller une diffusion de tracts fascistes. Du coup, la charge est précipitée. Certains copains neutralisent les flics…

A coups de “Molotov”?

JACQUES. — Oui, sur les voitures. En fait, tout s’était passé très vite. Malgré la confusion nous avons atteint trois objectifs. Et le quatrième a été abandonné parce qu’il aurait fait courir des risques aux passants.
PHILIPPE. — Avec les casses imprévus, nous avons offert au pouvoir la possibilité de criminaliser notre action. Tant mieux pour lui. Mais, inconvénients tactiques ou pas, nous ne porterons pas de jugement moral sur des copains – travailleurs précaires condamnés aux petits boulots de survie, qu’ils soient étudiants ou ouvriers — qui ne peuvent se payer le magasin de luxe qu’a coups de barre de fer. Et après tout, nous n’avons pas été si mal compris : M. Le président de la République lui-même a donné en conseil des ministres une interprétation assez juste de ce que nous avons fait en y voyant un signe de cette “décomposition sociale” que nous appelons, nous, “rupture du consensus social”.

Donc, pas de regrets ?

JACQUES. — Si : pour les copains arrêtés. Mais nous sommes prêts à recommencer. Ou plutôt à continuer notre action, qui n’est pas seulement violente. On parle de nous après un coup comme Saint-Lazare. Mais on ne dit rien lorsque nous mettons hors d’état de nuire, en deux heures, quinze cents parcmètres, ou lorsque nous neutralisons plusieurs centaines de poinçonneuses automatiques dans le métro, et ‘luttons ainsi, directement et efficacement, pour la gratuité de tous les transports, en commun ou individuels. On ne parle pas non plus de nous quand nous défendons l’esthétique de notre environnement en faisant disparaître près de deux cents panneaux publicitaires Decaux à Paris et en province, ou quand nous pratiquons nous-mêmes l’autoréduction des prix dans les supermarchés, les restaurants et les immeubles squattérisés. Ce que nous appelons aussi l’”autodéfense du revenu”.

Vous êtes combien ?

PHILIPPE. — A Paris, deux cents militants, trois cents sympathisants, et des réseaux très étendus. Si, si ! Allez voir dans certaines facs ou aux tris postaux, dans les C.E.T., les banques, parmi les chômeurs et les immigrés dans ce fameux lumpen que nous appelons, nous, le “jeune prolétariat”.

Vous justifiez votre vandalisme de la semaine dernière. Est-ce que vous justifiez aussi le terrorisme de la « bande à Baader » ou des Brigades rouges ?

PHILIPPE. — Nous n’avons pas à justifier ou à ne pas justifier la R.A.F. (2). Mais l’autonomie n’a rien à voir avec ses méthodes car nous sommes contre la clandestinité, et les seules actions violentes que nous concevons sont des actions de masse, contre les biens et non pas contre les personnes.

C’est ce que pensent tous les “autonomes”?

JACQUES. — Aux frontières de l’autonomie, il existe des tentations de lutte armée clandestine. Mais pas à l’intérieur.

Et maintenant, quel avenir voyez-vous pour l’autonomie ?

PHILIPPE. — Un avenir brillant ; car la restructuration du capitalisme multiplie le nombre des travailleurs intérimaires et crée cette nouvelle classe ouvrière qui ne respecte plus ni l’outil ni le travail et n’est plus liée à l’organisation sociale du capital et peut, à la différence de l’ancienne, penser par elle-même sans avoir besoin debureaux politiques.

Propos recueillis par
BERNARD GUETTA

(1) Matos : matériel
(2) R.A.F. : Rote Armee Fraktion (la “bande à Baader”).

 

MERCI ET ALLEZ VOIR:http://goubligoubla.wordpress.com/

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29 novembre 2011 2 29 /11 /novembre /2011 15:10

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25 novembre 2011 5 25 /11 /novembre /2011 11:47

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Le scan de la revue a été réalisé par un membre ou un complice des éditions Entremondeet/ou du groupe Action autonome

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25 novembre 2011 5 25 /11 /novembre /2011 11:39

Casanova Jean-Baptiste – Les Autonomes. Le mouvement autonome parisien de la fin des années 1970

Compléments au volume 1 de la nouvelle collection Dissidences février 2006 : http://www.dissidences.net/documents/les%20autonomes.pdf

La France semble avoir été épargnée par la flambée de violence politique que connurent l’Allemagne et l’Italie durant la décennie qui suivit Mai 68. Seuls quelques incidents se sont produits et peu de groupes se sont orientés sur la voie de la lutte armée. Si la Gauche prolétarienne (GP) possédait une branche militaire (la NRP), au lendemain du choc que provoqua l’assassinat de Pierre Overney (un jeune O.S. maoïste tué à bout portant par le chef des services de sécurité Jean-Antoine Tramoni devant les usines Renault), la GP se dissout au lieu d’engager une riposte armée. Il semble donc que le pire ait été évité.

Mais quelques années après, au moment même où l’Allemagne et l’Italie connaissent l’apogée de la guerre que se mènent États et groupes armés, l’actualité française voit apparaître une nouvelle mouvance à l’extrême gauche qui semble ne vouloir que l’affrontement violent : les « Autonomes ».

Leur apparition et leur essor sont contemporains des enlèvements d’Hans Martin Schleyer et d’Aldo Moro, de l’affaire de Mogadiscio et de la mort de Baader. Cependant, en dépit de la prose alarmiste de la presse, les autonomes et l’État français vont s’affronter sans aller jusqu’aux extrêmes atteints en Allemagne et en Italie.

Pour étudier le mouvement autonome, diverses sources sont disponibles. La presse quotidienne dans un premier temps, et tout particulièrement des reportages de Laurent Greilsamer parus dans Le Monde (1) et du courrier de Libération où les autonomes prennent la parole. Sont également utiles les principaux journaux publiés au sein de la mouvance autonome : Marge, Matin d’un blues et Camarades, sans négliger les divers tracts, brochures et publications de l’Autonomie. D’autre part, un dossier des renseignements généraux s’est intéressé à l’Assemblée parisienne des groupes autonomes (2) et un rapport est consacré à l’Autonomie (3). Enfin, pour ce type de sujet, les témoignages d’acteurs restent particulièrement précieux pour cerner ce que fut le quotidien de cette mouvance.

Nous verrons que si la violence est intimement liée à l’Autonomie, pourquoi ne se sont pas développés plus largement en son sein des groupes s’engageant dans la lutte armée.

L’Autonomie : une nouvelle radicalité ?

La notion d’Autonomie est une notion récurrente dans la pensée de gauche et dans l’histoire du mouvement ouvrier. Déjà au XIXe siècle, l’Autonomie ouvrière pose deux impératifs, seuls moyens de faire naître une volonté révolutionnaire au sein de la classe ouvrière. C’est tout d’abord l’autonomie de cette classe par rapport à la sphère du capital, et c’est aussi l’autonomie vis-à-vis des syndicats et des partis politiques. Le premier de ces impératifs a pour conséquence la volonté de créer une sphère autonome de la classe ouvrière non régie par les lois du marché, en développant par exemple de nouvelles formes de sociabilités et de solidarité. Il en découle le second impératif, les syndicats soumis à l’économie ne permettant pas l’émancipation du mouvement ouvrier du capital, et les partis étant nécessairement voués à une certaine compromission dans la mesure où ils acceptent le jeu politique.

L’application de ces principes donne naissance à une pratique nouvelle : l’action directe. Elle élimine toute instance intermédiaire dans la lutte des classes sans emprunter « les voies normales de la démocratie, en faisant appel au parlementarisme, mais à une action qui aura recours à la violence » (4).

Ces idées apparaissent autour du syndicalisme d’action directe de Fernand Pelloutier à la fin du XIXe siècle. Mais l’Autonomie ouvrière connaît une résurgence après Mai 68. En 1970, par exemple, une brochure publiée en 1970 par le groupe Vive la révolution (VLR) se termine par le slogan « Vive l’autonomie prolétarienne ». De même, des étudiants de l’Université de Vincennes constituent au lendemain de Mai 68 « des groupes autonomes qui se retrouvaient dans les manifestations avec barres de fer et des cocktails Molotov. Ils s’intitulaient « Groupes autonomes libertaires » ou « Groupes autonomes d’action » (5) « .

Mais la véritable renaissance de l’Autonomie ouvrière se fait alors en Italie. Ce pays connaît une situation particulière puisque avec « l’automne chaud » de 1969, le mois de mai dure et devient un « mai rampant ». De plus, les attentats fascistes comme celui de la piazza Fontana à Milan le 12 décembre 1969 contribuent à radicaliser les acteurs sociaux mais aussi la répression. D’autant qu’un nouveau prolétariat s’était constitué depuis les années 1950-60 : l’énorme masse de jeunes ouvriers originaires des régions du Sud, venue travailler dans les usines du Nord. Ils adoptent de nouvelles pratiques comme la grève sauvage, l’absentéisme ou le sabotage, en se détachant des syndicats peu à l’écoute de leurs revendications.

« Cette masse en colère de jeunes méridionaux soustrait au contrôle que l’Église exerçait traditionnellement dans les campagnes, rencontra dans les usines du nord l’école de la lutte de classe et la tradition de subversion révolutionnaire issue de la Résistance » (6).

Durant la première moitié des années 1970, ce type de mobilisation s’étend à de plus  en plus d’usines, mais aussi « sort des usines » vers la lutte des prisonniers, des femmes ou encore des mal-logés. Sur le même modèle, apparaissent alors la grève de loyer ou les « auto-réductions » (une « nouvelle forme de désobéissance civile consistant à refuser les augmentations des services [qui] se propagera aux tarifs de l’électricité et du téléphone » et qui est légitimée comme une forme « d’illégalisme populaire » (7)).

Or, à partir de 1973, les principaux groupes politiques, dont les militants animaient ces mouvements, Potere Operaio et Lotta Continua, disparaissent. Depuis quelques années, des théoriciens et des universitaires avaient pourtant vu dans ces nouveaux mouvements sociaux, la renaissance du mouvement ouvrier. Le « compromis historique » entre les différents partis politiques, dont le PCI, avait annoncé la fin de la classe ouvrière. En réaction l’opéraisme, qui est né au début des années soixante autour de l’École Opéraista puis de Mario Tronti (8), veut alors recomposer une classe ouvrière révolutionnaire. Les principaux animateurs de ce courant sont Oreste Scalzone, Mario Tronti et Toni Negri. Ce dernier, exclu de Potere Operaio, constitue avec le groupe Gramsci de Rome un pôle de l’Autonomie autour du journal Rosso. Il forge alors des concepts théoriques nouveaux pour expliquer et organiser le phénomène social et politique que connaît l’Italie. Selon lui « l’ouvrier social » succède à « l’ouvrier-masse ». Il n’est plus cantonné dans les usines mais présent dans toute la société. Il s’agit de jeunes citadins, étudiants prolétarisés, chômeurs, exclus du travail et indifférents vis-à-vis du travail et de la lutte syndicale. Il est défini comme rejetant les valeurs de la civilisation industrielle, de la culture du travail et du progrès par l’industrie. Il veut satisfaire ses besoins immédiatement et ne croit plus à l’effort qui lui assurerait plus tard cette satisfaction, pas plus qu’au militantisme vers les « lendemains qui chantent » (9). Il est l’acteur central des luttes de demain car il est plus que tout autre exploité.

Le concept d’Autonomia Operaia apparaît en 1973 au Congrès de Bologne alors que toute une partie de la jeunesse, après les dissolutions de Potere Operaio et de Lotta Continua, se reconnaît dans l’ouvrier-social de Negri. Pour ce « prolétariat juvénile », la libération ne passe plus par la conquête du pouvoir mais par le développement d’une « aire sociale capable d’incarner l’utopie d’une communauté qui se réveille et s’organise en dehors du modèle économique, du travail et du salaire (10) » et donc par la mise en place d’un « communisme immédiat ». La politique devient « libidinale », dictée et soumise au désir et aux besoins. Articulé autour des Centres sociaux où se rassemblent les jeunes des quartiers populaires et où s’improvisent autodéfense et démocratie directe, ce « communisme immédiat » se traduit, sur le plan pratique, par la diffusion sans précédent d’actions directes. Il s’agit des « réappropriations » (vols, hold-up…), qui sont pensées comme le prélèvement d’un « salaire social », des auto-réductions, des occupations illégales de logements, les squatts, qui sont une expérience d’autogestion et de vie alternative, mais aussi des « marchés politiques » (pillage de grandes surfaces).

L’apparition de l’Autonomie en France En France aussi, l’entrée en lutte de groupes sociaux tels que les travailleurs immigrés (Mouvement des Travailleurs Arabes ou grève des foyers Sonacotra), mais aussi des prisonniers, des prostituées, des homosexuels ou encore les féministes et le développement de l’écologie développent de nouvelles conceptions à l’extrême gauche. Déçus par l’échec de la fusion des masses que souhaitaient susciter les « établis » maoïstes, certains militants voient dans ces mouvements les nouvelles forces révolutionnaires dont il faut construire la convergence. Une des premières expériences dans cette optique est la création de la revue Marge en 1974. Née au sein des milieux libertaires, fortement influencée par les intellectuels de l’Université de Vincennes Gilles Deleuze et Félix Guattari, la revue est fondée par Gérald Dittmar et le psychologue Jacques Lesage de La Haye.

Dans l’éditorial, ils écrivent : « L’initiative de créer un journal qui serait celui de tous les nomades, de tous les révoltés, de tous les réprimés de cette terre — que sont les marginaux — de tous ceux enfin qui n’ont jamais le droit que de se taire, a été prise par un tel groupe qui a trouvé là une réponse à la question «que peut-on faire ?» (11). »

Leur volonté est de rassembler tous les marginaux et tous les inorganisés car le but est de « faire de la marginalité une conscience politique nouvelle (12) » tout en se souvenant qu’ »aucune classe n’est porteuse du futur ni d’une quelconque vérité historique ». Leur orientation politique est principalement caractérisée par la lutte contre la psychiatrie et contre les prisons. Avec certains numéros tirés à 10 000 exemplaires et la participation de personnalités comme Félix Guattari, Daniel Guérin ou Serge Livrozet, la revue Marge apparaît, ainsi que l’analyse Laurent Chollet, comme « l’un des pôles les plus attractifs de la scène radicale (13) ».

À peu près au même moment, autour de la rue d’Ulm à Paris, l’opéraisme italien fait ses premiers adeptes français. Yann Moulier, étudiant à l’École Normale Supérieure, y  organise des conférences sur l’Autonomie et devient le traducteur de Negri. Il réunit un noyau qui publie à partir de 1976 le journal Camarades qui se fixe comme objectif de « faire circuler l’information » c’est-à-dire de constituer un pôle qui rassemble et redistribue les informations concernant les différentes luttes et ainsi d’en favoriser la convergence politique (14) ». Le but est donc de lire la situation française et de développer de nouvelles formes de luttes au regard des idées venues d’Italie. Parallèlement, Yann Moulier met en place un projet éditorial chez Christian Bourgois en y lançant la collection Cible, où il publie le livre de Mario Tronti Ouvrier et Capital (15) puis Marx au-delà de Marx de Negri (16).

Le groupe Camarades affiche lui aussi la volonté de réunir les différents collectifs inorganisés qui  sont apparus depuis 1973. Il lance un appel dans ce sens à la rentrée 1976 qui se traduit par la mise en place d’un Collectif d’agitation. Ce collectif se met en rapport avec les grévistes des foyers Sonacotra mais aussi avec le Mouvement des Travailleurs Mauriciens. Il est rejoint par des groupes étudiants comme le Collectif étudiant autonome de Tolbiac, qui pratiquaient les auto-réductions dans les restaurants universitaires, et par les grévistes de la BNP Barbes qui, délaissés par les syndicats, sont sensibles aux idées de l’Autonomie ouvrière.

Une réaction à la violence d’État

L’été 1977 est marqué par la manifestation des 30 et 31 juillet contre le surrégénérateur Super Phénix de Creys Malville. Théâtre de violents affrontements avec les forces de l’ordre, la manifestation est ensanglantée par la mort d’un militant écologiste Vital Michalon. Le choc est grand et contribue à renforcer l’audience des autonomes, qui bénéficient de l’écho du « Mouvement de 1977″ italien. Ils sont les seuls à promettre la riposte et à parler encore d’autodéfense. Ils voient dans la manifestation de Malville « le degré de militarisation que l’État est prêt à atteindre lorsqu’il veut défendre une «question d’intérêt national» (17) ». Ils appellent dans Libération à « se donner les moyens de frapper sur les terrains qui nous conviennent, sur le terrain de nos besoins, qu’ils soient liés au nucléaire, au chômage, à la question des femmes, des travailleurs immigrés, des jeunes prolétaires… ».

Or en octobre 1977, l’actualité est marquée par « l’affaire Allemande » et l’emballement de la guerre qui oppose la Fraction Armée Rouge et l’État fédéral. Le premier octobre Klaus Croissant, l’avocat de Baader et de la RAF, est arrêté en France en vue de son extradition. Le 13 octobre, un avion de la Lufthansa qui assurait la liaison Palma de Majorque-Francfort est détourné vers Mogadiscio par un commando proche de la RAF. Dans la nuit du 17 au 18 octobre, peu après l’intervention anti-terroriste à Mogadiscio, Jan-Karl Raspe, Gudrun Ensslin et Andreas Baader meurent dans leurs cellules, dans la prison haute sécurité de Stammheim. Là encore les autonomes sont les seuls à appeler à une réaction radicale par des manifestations « offensives », comme le 21 octobre dans le quartier de Saint-Lazare ou le 18 novembre lors de la manifestation contre l’expulsion de Klaus Croissant.

Il en résulte que de plus en plus de jeunes se reconnaissent dans l’Autonomie et se joignent aux actions de l’Assemblée parisienne des groupes autonomes qui se réunit à Jussieu depuis le 20 octobre. Un mouvement autonome s’organise autour de Camarades qui en représente la branche « organisée ». Ils sont rejoints par des « inorganisés venus des facs et des banlieues, des libertaires et les militants de Marge ». Le succès de cette assemblée s’explique, selon les Renseignements Généraux, par son rôle de « pôle attractif qui manquait pour laisser éclater une violence et un ressentiment souvent mal contenus (18) ». L’Assemblée prend alors des initiatives. Elle organise un rassemblement avorté à Saint-Lazare, mais surtout occupe les locaux de Libération le 24 octobre en réaction à la façon dont le quotidien traite l’affaire Allemande (renvoyant dos-à-dos l’État allemand et la RAF).

Pourtant, si la mouvance autonome semble apporter un soutien à la RAF, des militants expriment quelques doutes à propos de la lutte armée. Ainsi Bob Nadoulek écrit dans Camarades que « La RAF est le fruit de la militarisation du vieux mouvement révolutionnaire, la violence doit être différente (19) » et il qualifie le terrorisme de « logique autiste du désespoir (20) ».

Stigmatisation du mouvement

Malgré ces doutes exprimés à l’égard du terrorisme, les autonomes, lors des manifestations, apparaissent à la presse comme une véritable menace. Le Figaro met en garde contre « les durs – plusieurs milliers – prêts à en découdre, casqués avec matraques ou cocktails Molotov à la main, sont-ils prêts à franchir le pas et à aller jusqu’au crime ? (21) ».

Il en va de même pour les organisations d’extrême gauche. La Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR) est alors le plus virulent adversaire des autonomes. Jugeant leurs comportements en manifestation de « comportements fascistes », les militants trotskistes ont promis qu’avec eux, « ça se réglera à coup de barre de fer (22) ». Du coup, les heurts sont fréquents, le siège de la Ligue est attaqué à plusieurs reprises et le cortège autonome manifeste aux cris de « Rendez-nous Croissant, on vous refile Krivine ! ».

La violence mise en œuvre par les autonomes inquiète aussi les forces de l’ordre d’autant plus qu’apparaît une véritable société parallèle de l’Autonomie autour des squatts et des universités. Les squatts se multiplient dans le XIXe arrondissement près de Belleville autour de la Villa Faucheur, dans le XIIIe vers la rue Nationale et dans le XIVe dans le quartier Alésia. Ils fréquentent les concerts de rock. A l’occasion d’un concert gratuit à La Villette, « Serge », un jeune autonome est assassiné. Or les renseignements généraux, en s’interrogeant sur la façon dont contrôler et encadrer l’essor de la mouvance, s’alarment des conditions dans lesquelles vivent ces jeunes marginalisés.

« Ainsi la fermeture de la Maison pour tous (23), la destruction de l’immeuble rue Lahire, l’arrestation de certains membres biens connus [...], la mort de [Serge], poignardé à l’hippodrome de Pantin, ont engendré un éclatement et une certaine lassitude psychologique.

À ce propos, il ne faut pas négliger qu’il existe chez les autonomes une certaine « misère psychologique ». Vivant sans hygiène, sans ressources définies, dans une promiscuité voulue mais pesante et grosse de heurts, n’ayant pas de certitude du lendemain, les autonomes sont soumis à des déséquilibres mentaux que seuls les caractères très trempés pourraient subir sans dommages (24). »

Vers la lutte armée ?

De cette situation résulte une radicalisation croissante des comportements des jeunes proches de l’Autonomie. Ainsi la marginalité pousse une partie d’entre eux vers la délinquance revendiquée comme pratique révolutionnaire. Il s’agit des « opérations basket » qui consistent à partir sans payer des restaurants, mais aussi le vol et la « fauche » ou la délinquance astucieuse (arnaque aux assurances…). D’autres vont un peu plus loin par des actions de plus grande ampleur comme la vaste opération de « récupération » que lance un groupe contre une grande surface parisienne lors des fêtes de fin d’année de 1977 ou comme l’attaque d’une banque du XVIe arrondissement de Paris le 30 mai 1980, où un autonome est tué par la police.

De même, la manifestation « offensive » est optimisée, comme le révèle la manifestation des sidérurgistes lorrains du 23 mars 1979, où du matériel offensif est dissimulé tout le long du parcours dans des voitures, des camionnettes ou des consignes de gare. Cette manifestation est l’occasion d’une tentative répressive de la part des forces de l’ordre. Le matin même une vaste rafle est organisée, en vue d’éviter que le défilé ne dégénère, conduisant à l’arrestation de 82 supposés leaders autonomes. La manifestation est malgré tout le théâtre de violents affrontements au terme desquels on compte 116 blessés parmi les forces de l’ordre, 54 magasins « cassés », 121 vitrines brisées, et 131 arrestations.

Face à cette violence croissante, d’anciens militants issus de Marge et de Camarades se regroupent autour de Bob Nadoulek pour fonder en 1978 Matin d’un blues. Le journal  se définit comme l’aire désirante de l’Autonomie et veut renouveler le mouvement en le dégageant de la suprématie de la violence par la contre-culture et l’alternative.

« On se battra sur tous les fronts : sur la musique, sur les bouquins, sur la politique, sur nos rapports quotidiens, sur la répression, avec des dessins, des concepts, des caresses, à coup de dents s’il le faut, mais on réinventera la vie, la nôtre au moins (25). »

Cependant, la constitution de ce pôle contre-culturel ne détourne pas les plus radicaux de la logique d’affrontement à outrance et de l’engagement dans la voie de la lutte armée. Déjà aux origines du mouvement, la question de la lutte armée était au cœur des débats, tout particulièrement après l’exécution de J.-A. Tramoni, par les Noyaux Armés Pour l’Autonomie Populaire (NAPAP) le 23 mars 1977. De même, la construction de Super Phénix suscita des attentats comme celui du 8 juillet 1977 contre le directeur d’EDF, M. Boiteux, revendiqué par le CACCA (Comité d’action contre les crapules atomiques) ou bien encore les 23 attentats commis sur tout le territoire, revendiqués par une Coordination Autonome Radicalement en Lutte Ouverte contre la Société (CARLOS). Car dès 1977, des gens se sont rencontrés au sein de l’Autonomie pour former une coordination politique et militaire clandestine, interne au mouvement. On compte parmi eux des militants venus des Brigades Internationales (BI), des NAPAP, des anti-franquistes des Groupes d’Action Révolutionnaires Internationalistes (GARI), et du Mouvement Ibérique de Libération (MIL) dont Jean-Marc Rouillan.

Ce dernier rassemble autour de lui quelques personnes issues de l’Autonomie pour fonder l’Organisation Action Directe (OAD) qui, le 1er mai 1979, mitraille la façade du siège du CNPF. A l’automne, l’OAD devient Action Directe.

La violence politique joue donc un rôle moteur dans la constitution du mouvement autonome en attirant vers lui les inorganisés en promettant la riposte face à l’État. Mais l’arrivée massive de jeunes toujours plus radicaux inquiète les plus anciens. Yann Moulier expliquera que « l’arrivée de zombies dans le mouvement, qui furent assez vite catalogués comme proches des BI et des GARI, fout la trouille (26) ». Ce point de vue est à mettre en rapport avec la tentative de développer une aire contre-culturelle de Bob Nadoulek, qui était pourtant le théoricien de la violence au sein de Camarades durant les premiers numéros. Cette rupture est sans doute une des raisons du rejet de la lutte armée. En dehors des quelques personnes qui passent à Action Directe, peu entameront une guerre avec l’État français par d’autres moyens que l’émeute. De même l’État ne met pas en place de vastes politiques répressives contre les autonomes en dehors de la rafle du 23 mars 1979. Il en résulte que la France ne connaît pas de flambée de violence comme dans les pays voisins durant les années 1977-79, comme si de part et d’autre une certaine retenue fut entretenue. Il n’en demeure pas moins que l’Autonomie apparaît encore aujourd’hui comme une des expériences politiques les plus radicales à l’extrême gauche. C’est ce qui en a assuré la postérité parmi certains jeunes (squatters, punks, « casseurs » ou « Black Block »…), y compris plus de vingt ans après.

Jean-Baptiste Casanova

Notes

(1) L. Greisalmer, « La galaxie des autonomes », dans Le Monde, 25 janvier 1977, p. 13.

(2) BA 2332 : Anarchistes, groupes autonomes, mouvements 1955-1987 qui contient plusieurs chemises concernant notre sujet : Les désirants et surtout Assemblée générale des groupes autonomes.

(3) Ga br 7 : Mouvements gauchistes, anarchiste : rapport, Les Autonomes à Paris, avril 1979.

(4) Définition de l’action directe dans H. Avron, L’anarchisme, Paris, PUF, 1951, p. 115.

(5) Rapport des R.G., Ibid., p. 13.

(6) P. Persichetti, O. Scalzone, La révolution et l’État, Paris, Dagorno, 2000, p.32.

(7) I. Sommier, « Un nouvel ordre de vie par le désordre : histoire inachevée des luttes urbaines en Italie », dans CURAPP, Ibid. , p.149.

(8) M. Tronti, Ouvriers et capital, Paris, Bourgois, 1977.

(9) Cité dans A. Touraine, M. Wieviorka, F. Dubet, Le mouvement ouvrier, Paris, Fayard, 1984.

(10) N. Balestrini, P. Moroni, L’orda d’oro, Milano, SugarCo Edizioni, 1988, p.334, cité dans I. Sommier, « Un nouvel ordre de vie par le désordre : histoire inachevée des luttes urbaines en Italie », dans CURAPP, Ibid. , p. 154.

(11) G. Dittmar, « Pourquoi «Marge» », dans Marge, n° 1, juin 1974, p. 1.

(12) Anonyme, « Pourriture de psychiatrie », dans Cahiers Marge, n°1, 1977.

(13) L. Chollet, Ibid., p. 204.

(14) Camarades, nouvelle série, n°1, avril/mai 1976, page 2.

(15) M. TRONTI, Ouvriers et capital, préface Y. MOULIER-BOUTANG, Paris, Christian-Bourgois, 1977.

(16) A. NEGRI, Marx au-delà de Marx, cahier de travail sur les « Grundrisse », préface Y. MOULIER-BOUTANG, Paris, Christian-Bourgois, 1979.

(17) « Les autonomes après Malville », dans « Courier », Libération du mercredi 21 septembre 1977.

(18) Rapport des RG, op. cit.., p. 15.

(19) B. Nadoulek, « Sur la violence (encore et toujours…) », dans Camarades, n° 6, novembre 1977,p. 9.

(20) B. Nadoulek, L’iceberg des autonomes, Paris, Kesselring éditeur, 1979, p. 186.

(21) J.-L. Météyé, « Les terroristes ouest-allemands disposent d’un réseau de sympathisants en France », dans Le Figaro, 24 octobre 1977, p. 10.

(22) Rapport des RG, op. cit., p. 6 et 7.

(23) Lieu associatif dans le quartier de Mouffetard, dans le Ve arrondissement de Paris.

(24) Note des RG, 9 juin 1978.

(25) B. Nadoulek, L’iceberg des autonomes, Paris, Kesselring Éditeur, 1979, p. 194.

(26) Entretien cité dans le reportage de J. C. Deniau, Action directe, la révolution à tout prix, 2000.

Bibliographie sélective

Action directe, éléments chronologiques, brochure, printemps 1997.

Arcole, La diagonale des Autonomies, Paris, Éditions Périscope, 1990.

Y. COLLONGES, P. RANDAL, Les Autoréductions, Christian-Bourgois, 1976.

G. DARDEL, Un traître chez les totos, Arles, Actes Sud, 1999.

Les enjeux de l’autonomie, Grenoble, La pensée sauvage, 1984.

P. FAVRE (dir.), La manifestation, Presse de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1990.

O. FILLIEULE, Stratégie de la rue, les manifestations en France, Paris, Presse de Science Po,

1997.

Groupe Matériaux pour l’intervention, Les ouvriers contre l’État : refus du travail, Paris, La

stratégie du refus, 1973.

A. GUILLEMOLES, La tentation terroriste, Paris I, Mémoire de maîtrise, 1989.

A. HAMON, J.-C. MARCHAND, Action Directe, Paris, Seuil, 1986.

S. LIVROZET, De la prison à la révolte, Paris, Mercure de France, 1973.

B. NADOULEK, La violence au fil d’Ariane, Paris, Christian-Bourgois, 1977.

B. NADOULEK, L’iceberg des autonomes, Paris, Kesselring éditeur, 1979.

A. NEGRI, Marx au-delà de Marx, cahier de travail sur les « Grundrisse », préface Y. MOULIER-

BOUTANG, Paris, Christian-Bourgois, 1979.

L. PRIEUR, Mouvements sociaux et lutte armée en Italie (1968 – 1978), Paris 1, Mémoire de

maîtrise, 1988 – 1989, sous la direction de D. TARTAKOWSKY et A. PROST.

J.-M. ROUILLAN, Je hais les matins, Paris, Denoël, 2001.

I. SOMMIER, La violence politique et son deuil, Rennes, Presse Universitaires de Rennes, 1998.

I. SOMMIER, « Un nouvel ordre de vie par le désordre : histoire inachevée des luttes urbaines en

Italie », dans Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie (CURAPP),

Désordre(s), Paris, PUF, 1997, p.145 – 159.

M. TRONTI, Ouvriers et capital, préface Y. MOULIER-BOUTANG, Paris, Christian-Bourgois,

1977.

J. WAJNSZTEJN, J. GUIGOU (dir.), L’individu et la communauté humaine, Paris, L’Harmattan,

1998.

J. WAJNSZTEJN, Individu, révolte et terrorisme, Paris, Nautilus, 1987.

M. WIEVIORKA, Société et terrorisme, Paris, Fayard, 1988.

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25 novembre 2011 5 25 /11 /novembre /2011 11:12

Interview réalisé par La Spirale, Anezine for the digital mutants

Une interview de Patrice Herr Sang, fondateur du fanzine New Wave, du label New Wave Records et du catalogue de distribution Al di La, et plus récemment des éditions du Yunnan et de la structure de production Thrash Seditions. Témoin de la première heure, présent sur le terrain depuis les années 70, Patrice a bien voulu revenir sur la naissance du mouvement autonome en France pour La Spirale.

Rappel des faits : Le 11 novembre 2008, plusieurs membres d’une communauté basée à Tarnac, dont Julien Coupat, fondateur de Tiqqun, revue philosophique d’inspiration anarchiste et post-situationniste fondée en 1999, ont été arrêtés dans le cadre d’une enquête sur des sabotages visant le réseau de la SNCF, puis mis en examen et placés en détention provisoire le 15 novembre 2008 sous des chefs d’inculpation relevant de la législation antiterroriste (« destructions en réunion » et « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste »). Cinq prévenus sont encore détenus à ce jour.

Face à la dangereuse nébuleuse d’épiciers alternatifs, néo hippies, post altermondialistes et cultivateurs de carotte des plateaux corréziens, qui menace gravement la sécurité nationale et les institutions de l’état, La Spirale se devait de réagir avec une série d’articles et d’interviews sur l’histoire du mouvement autonome, aujourd’hui cible et prétexte de tous les fantasmes et manipulations sécuritaires. [ Fin de la parenthèse ironique ] Adhésion ou non-adhésion aux idées de Julien Coupat et des Neuf de Tarnac, la question n’est pas là…

Ce qui ne lasse de surprendre et de préoccuper se situe plus dans l’inconsistance de l’accusation et dans l’absence de preuves. Aucun trophée ADN, aucune preuve matérielle digne de ce nom pour soutenir la rhétorique guerrière d’un procureur de la République particulièrement désireux d’en découdre avec les « anarcho-autonomes » chers à Michelle Alliot-Marie. La crise économique se développant, de noirs nuages s’amoncellent sur nos institutions et l’affaire claque déjà comme une mise en garde étatique à l’aube d’une période potentiellement riche en troubles sociaux et politiques.

Programme spécial « autonomes » à suivre dans le courant de la semaine prochaine avec de nouveaux articles et témoignages exclusifs !

Tu évoquais les autonomes à propos du punk lors de notre précédente interview. Afin de bien situer cette mouvance dans son contexte d’origine, peux-tu revenir sur tes premiers contacts avec eux, qui se sont déroulés si mes souvenirs sont bons lors de concerts de rock ?

Le mieux est d’abord d’expliquer d’où vient ce qu’on appelle « les autonomes ».

Au milieu des années 70, le reflux du gauchisme et des groupes révolutionnaires s’accompagnait de la montée en puissance des groupes de lutte armée et de la social démocratie rénovée. Cette dernière aboutira en France à l’élection de F. Mitterand en 1981. En 1973, l’un des plus actifs groupes révolutionnaires français, la Gauche Prolétarienne, était sabordé par une partie de ses dirigeants, contre l’avis d’une bonne partie de sa base. Il faut voir que ce groupe était numériquement et politiquement le plus important en France. Quelques chiffres : un organe de presse La Cause du Peuple vendu à 100.000 exemplaires, la création en 1973 du quotidien Libération, des milliers d’adhérents, 250.000 personnes le 2 mars 1972 à l’enterrement de Pierre Overney, militant ouvrier de l’organisation assassiné par un vigile à l’usine Renault de Billancourt, une organisation ouvrière (l’UNCLA), un Mouvement des Travailleurs Arabes (qui organisa la première grande grève des travailleurs immigrés en1973 contre une vague d’assassinats racistes), etc.

Donc, sans organisation, désorganisé par le haut, une partie des militants décidèrent de continuer et formèrent des tas de cellules, collectifs, assos, etc. Ils essaimèrent et s’impliquèrent dans des tas de luttes. Une Cause du Peuple poursuivit même sa parution. Certains de ces groupes convergèrent avec d’autres venus des milieux anarchistes et/ou gauchistes, avec tous en commun la volonté de continuer la lutte, de ne pas faire confiance à la social démocratie, voire même de la combattre.

Parallèlement, ils suivirent les évènements d’Allemagne (Fraction Armée Rouge de Baader) et surtout d’Italie (Brigades Rouges et mouvement autonome). La conjonction d’évènements majeurs internationaux (assassinats de Baader et d’autres membres de la FAR en Allemagne en 1977, enlèvement et assassinat d’Aldo Moro en Italie) et de soubresauts intérieurs (vague de restructurations capitalistes en France dirigée par la social démocratie qui, sous couvert de pseudo socialisme, détruisit des pans entiers de l’industrie – sidérurgie, mines, etc.) cristallisèrent ces mouvements qui multiplieront les affrontements avec l’Etat.

Trois grandes tendances co-existaient alors dans ce mouvement dit « autonome » car inféodé à aucun parti de « gauche » traditionnel (PCF, LCR, PS) :

- le courant dit « italien » autour de la revue CAMARADES épousant les thèses de l’Italien Toni Negri
- le courant dit « désirant » autour de la revue MARGE développant des théories très ludiques, fêtardes et nihilistes
- le courant communiste autour de la revue AUTONOMIE PROLETAIRE issu du mouvement maoiste Gauche Prolétarienne

Suite à la répression et surtout du travail de démobilisation et de démoralisation des gens organisé par la social démocratie dans les années 80/90, les trois courants se sont délités. Mais comme les problèmes demeuraient et qu’aucune organisation nouvelle n’apparaissait, une multitude de petits groupes ont « survécu », reprenant des forces au cours des vagues de luttes successives des années 90, 2000, etc. (sidérurgie, CIP, altermondialisme, antifascisme etc.).

Aujourd’hui, ce qu’on appelle les « autonomes » n’existe en réalité pas en tant qu’organisation ni même mouvement. C’est plus une mouvance, une masse éparse d’individus ne se reconnaissant dans aucune organisation et qui, selon leur niveau d’écoeurement face aux injustices, agit sur tel ou tel front. Ce que presse et police appellent « autonomes » pourrait tout aussi bien s’appeller « inorganisés », « électrons libres », etc.

Pour ma part, en tant que militant venant du mouvement mao et ayant travaillé de concert avec le mouvement punk émergeant dès 1974/1975, c’est tout naturellement que j’ai croisé les mouvements autonomes. En 1977, tout ce beau monde a organisé des concerts en commun liés à l’actualité avec des groupes aujourd’hui célèbres comme le Taxi Girl de Daniel Darc, Etat d’Urgence d’un certain Maurice G. Dantec ou encore le Stinky Toys d’Elli Medeiros et Jacno.

Bien que l’exercice soit certainement complexe, te serait-il possible de nous résumer l’orientation politique ou le mode de pensée autonome ?

Comme je viens de le dire, l’idéologie des « autonomes » aujourd’hui peut se résumer à résister contre toutes les injustices, participer aux mouvements de masse et rejeter les partis dits de gauche traditionnelle. Mais d’un point de vue strict de l’orientation politique, il n’y a pas de ligne « autonome ». Il y a un état d’esprit de rébellion, c’est tout. Qui pourra se catalyser si une organisation apparaît sur la scène politique française comme porteuse de volonté de changement réel. Il n’y a plus d’idéologie de l’Autonomie en soi, en France.

Il semble donc difficile de parler d’une nébuleuse autonome unie et soudée, puisqu’il s’agit plus d’une kyrielle de fractions indépendantes qui peuvent se réunir et collaborer lors de certaines occasions, ce qui semble avoir été le cas depuis l’origine du mouvement. J’ai lu quelque part que s’était tenu une assemblée parisienne des groupes autonomes en octobre 1977. Quel est ton point de vue sur la situation actuelle ? Et quels parallèles (s’il y a lieu) peut-on faire entre les années 70 et les années 2000 ?

Oui, en 1977, se développait un véritable mouvement, avec ses trois courants structurés, avec des revues théoriques, des livres, des journaux. Effectivement, il y a eu plusieurs assemblées autonomes à Paris, Strasbourg, etc. C’était plus des assemblées générales que des « congrès » comme dans un parti.

La situation actuelle est sans comparaison avec les années 70. Le système d’exploitation et d’oppression s’est aggravé mais en face, il n’y a rien de concret. Il y a une foule de mécontents qui le manifestent de différentes façons et presse et police appellent « autonomes », « racaille », « bandes », ce qui bouge un peu trop, juste par besoin d’étiquetter, de cibler et d’agiter comme un épouvantail. Mais ça n’a aucun rapport avec l’ébullition des années 70 qui suivaient de près Mai-Juin 1968.

On sait que Jean-Marc Rouillan a fondé l’Organisation Action Directe (OAD), par la suite rebaptisée Action Directe, avec la participation d’anciens des Noyaux Armés pour l’Autonomie Populaire (NAPAP). De manière plus générale et sorti de ce cas précis, quels furent les liens ou les divergences entre la mouvance autonome et des groupes tels qu’Action Directe, la Rote Armee Fraktion (RAF) allemande ou les Cellules Communistes Combattantes (CCC) belges ?

Les divergences entre le mouvement autonome et les groupes que tu cites sont d’abord idéologiques. AD, CCC, FAR, NAPAP ou BR se revendiquaient tous du communisme, du marxisme-léninisme, voire du maoisme alors que la majorité des autonomes était plutôt libertaire, anarchiste, voire juste rebelle. Les premiers visaient à un parti et une révolution de type léniniste, les seconds à du spontanéisme de masse. Les convergences se feront dans l’action, le fait d’avoir le même ennemi, que beaucoup de gens se connaissaient, partageaient des luttes en commun, débattaient. Pas d’antagonisme mais plutôt deux visions différentes de l’action.

Lorsque les médias de masse évoquent les autonomes des années 70 et 80, il s’agit le plus souvent de souligner leur violence (attentats, exécutions, affrontements avec les forces de l’ordre lors de manifestations, …). Il me paraît néanmoins trompeur de limiter les autonomes à cette seule dimension « physique », ne serait-ce qu’au travers de leur influence sur la scène culturelle alternative des années 80 (squatts, fanzines, …). Comment perçois-tu l’héritage laissé par les autonomes de l’époque ?

Les autonomes des années 70 en France n’ont quasiment « exécuté » personne. Ils ont certes commis des attentats et multiplié les affrontements avec la police. Mais ils ont surtout développé une résistance au quotidien via les squatts, les « restaus baskets » pour chômeurs (partir en courant sans payer), les transports gratuits, etc. Et comme tu dis, participé à l’ébullition culturelle autour du mouvement punk émergeant à la même époque, ce qui ne fut pas un hasard. Création de fanzines, organisation de concerts, de nombreux individus ou groupes issus de l’autonomie seront à la base des labels, fanzines et groupes qui se multiplieront entre 1977 et 1987. Nos acquis d’aujourd’hui proviennent de l’addition des acquis de la G.P., des autonomes, des punks, des féministes, etc. des années 68 à aujourd’hui.

Michelle Alliot-Marie semble concevoir beaucoup d’inquiétude quant à la possible résurgence de fractions armées combattantes issues des rangs d’une ultra-gauche qui refuserait le dialogue démocratique. Une mouvance qui se serait selon elle renforcée depuis la dernière élection présidentielle. Partages-tu cette dernière analyse de Michelle Alliot-Marie concernant l’impact favorable de l’accession de Nicolas Sarkozy aux plus hautes fonctions de l’état sur la vitalité du militantisme radical anarchiste et autonome ?

Non, les affaires récentes sont, à côté de plein d’autres, des signes de ce que la marmite bouillonne mais une affaire comme celle de Tarnac est plus une action préventive de l’Etat pour faire peur que le signe d’une vitalité radicale dangereuse. Les gens arrêtés sont des boucs émissaires que l’Etat va peut-être laminer juste pour faire passer un message : ok, la situation est pourrie, mais, vous bougez un poil, vous éternuez, et c’est le concasseur ! Il n’y a qu’à voir le décalage entre la réalité des faits et l’opération médiatico-policière. L’Etat veut faire peur parce que lui-même a peur de ce qui va se produire à cause de la crise du système et de ses conséquences. 50.000 nouveaux chômeurs déjà, les boites qui ferment, la vie de plus en plus chère, il y a une chape de plomb qui étouffe les gens et ce que craint l’Etat, ce n’est pas 2/3 groupuscules baptisés autonomes mais des explosions populaires qui feront passer les « émeutes en banlieue » pour de gentils monômes lycéens.

Alors, ne rentrons pas dans le piège de l’épouvantail autonome. Soyons solidaire des boucs émissaires et expliquons la réalité, celle d’un système à bout de souffle qui le sait et qui a peur.

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