La révolution n’est pas terminée en Tunisie. Les graffeurs du collectif Zwewla se battent pour exprimer la cause des oubliés de la révolution. Ils ont été interpellés début novembre pour trouble à l’ordre public. Sur Internet, les Tunisiens se mobilisent pour leur cause.
Le Z noir des graffeurs bazardé sur les murs des villes tunisiennes n’est pas sans rappeler le Z vengeur du héros Zorro. Comme le personnage, l’histoire d’Oussama Bouagila et de Chahine Berriche est celle d’un engagement en faveur des plus défavorisés, des oubliés de la révolution. Excepté que la réalité a vite rattrapé ces deux jeunes étudiants tunisiens, membres du mouvement «Zwewla». La nuit du 3 novembre, ils ont été interpelés par la police en train de faire des graffitis sur les murs de Gabès. Ils sont accusés, d’avoir diffusé de fausses nouvelles portant atteinte à l’ordre public. Leur procès se déroulera le 5 décembre avec plusieurs accusations qui criminalisent l’art de la rue.
Les deux jeunes tagueurs sont aussi accusés de taguer sans autorisation sur les murs de bâtiments publics, d’avoir violé l’Etat d’urgence. Ces trois accusations s’inscrivent sous l’article 303 du code pénal, (Modifié par le décret du 6 juin 1946), le décret de loi 50 (promulgué en janvier 1978) celui sur l’ l’Etat d’urgence, et les deux articles 50-54 du décret- loi n°115 de l’année 2011 qui concernent le délit des fausses nouvelles portant atteinte à l’ordre public (fortement critiqué par les défenseurs de la liberté d’expression comme l’ONG RSF). Les peines pour ces trois chefs d’accusation peuvent aller jusqu’à deux ans et trois mois de prison et jusqu’à 17 500 dinars d’amende.
Depuis quelques semaines, les réseaux sociaux et des activistes tunisiens expriment leur soutien à la cause du mouvement «Zwewla». Le réseau rassemble de jeunes étudiants, chômeurs et même travailleurs tunisiens de différentes régions en Tunisie. Ils se considèrent«marginalisés», «oubliés» ou plutôt «trahis» par les élections. Elles n’ont pas mené, d’après eux, à une transition politique véritablement démocratique et en faveur des classes sociales les plus défavorisées.
Oussama, étudiant en Master de Droits des Affaires, et initiateur du mouvement «Zwewla»explique que derrière le graffiti, s’exprime clairement une revendication sociale:
«Nous avons fait ce mouvement de graffiti parce que personne ne parle de nous, de nos problèmes de chômage, de pauvreté et de marginalisation. Nous avons donc décidé de parler par nous-mêmes. Pourquoi le graffiti? Parce que le graffiti est plus accessible au tunisien qui n’a pas Facebook par exemple.» Le graffiti, accessible à tous selon l’auteur, simplifie aussi le message à faire passer.
Pour Chahine, originaire de Gabès et deuxième accusé dans cette affaire, l’affaire touche aussi à la liberté d’expression:
«Le problème, ce n’est pas la police qui a essayé de nous arrêter ou qui nous a confisqué notre matériel. Le vrai problème, c’est la loi qui s’applique pour les uns et pas pour les autres. Et la loi en elle-même ne garantie par la liberté d’expression et continuer de réprimer avec les mêmes méthodes des anciens dictateurs, les activistes et militants».
Les deux jeunes graffeurs ne comprennent pas comment des graffitis peuvent-elles toucher à l’ordre public. Après la révolution, beaucoup de graffitis et tags sont apparus sur les murs des villes, avec des slogans révolutionnaires. Traces du mouvement social, ces images ont symbolisé aussi un nouvel art qui prenait son essor en Tunisie comme l’a montré la manifestation Kif Kif international en mars 2012 où les tagueurs ont pu dessiner une fresque sur les murs de Tunis. Des graffeurs sont même entrés dans la maison des Trabelsi pour« redécorer » à leur façon la maison du clan déchu. Aujourd’hui, les membres de Zwewla se servent du tag pour interpeller l’opinion public et les politiques sur les promesses de la révolution. Des slogans tels que «ils t’ont oublié zaweli», «Le peuple veut les droits du zaweli» ou «où est la constitution? » peuvent-ils vraiment toucher à l’ordre public? Ou même peuvent-elles être des «fausses informations ?»
L’ONG Reporters Sans Frontières, a précisé, dans un rapport, publié le 14 février 2012, que «L’application de ce texte (l’article 54) doit se faire avec précaution pour garantir le libre débat sur les questions d’intérêt général, lequel peut, s’il est trop passionné, véhiculer des informations insuffisamment vérifiées ou déformées. Elle doit exclure de son champ d’application la simple diffusion d’opinions participant de la libre discussion en démocratie.»
Dans certains pays comme la France, le graffiti est illégal car il est considéré comme une«dégradation d’un bien d’autrui» mais en Tunisie, aucune loi n’existe pour réglementer l’art urbain et le recours au «trouble de l’ordre public» peut entraîner une peine trop lourde par rapport au délit initial. Cette affaire rappelle, l’affaire des deux internautes de Mahdia, condamnés à sept ans de prison à a suite à de la publication de quelques photos et livres sur Facebook où ils revendiquaient leur athéisme. La sévérité des chefs d’accusations tout comme la peine finale avait choqué l’opinion internationale.L’article sur la liberté d’expression dans la constitution sur la liberté d’expression n’a pas été encore approuvé. Le flou juridique mène alors à des recours trop radicaux selon certains comme pour les deux tagueurs,. Selon ces derniers, l’utilisation répressive de cette loi va à l’encontre de la liberté d’expression
«Nous ne sommes pas des criminels. Nous sommes des simples citoyens qui essayons de communiquer, de revendiquer et de militer d’une façon pacifiste. Je demande à tous les tunisiens de venir nous soutenir le jour du procès et même avant pour montrer au monde entier que la révolution tunisienne est loin d’être finie » explique Oussama avant que Chahine ajoute avec amertume «au lieu de nous mettre en prison, l’État aurait du nous préparer des murs abandonnés ou des lieux spécifiques pour le graffiti, c’est un art reconnu dans le monde entier. Pourquoi pas en Tunisie?»
A Gabès, la ville où ils ont été arrêtés, le graffiti est pourtant reconnu comme un art à part entière. Un autre graffeur, El Seed avait réalisé un graffiti mélangé à de la calligraphie sur la Mosquée principale de la ville. L’œuvre avait été commandée et approuvée par la municipalité.
Les jeunes de «Zwewla» ne resteront pas les bras croisés jusqu’au procès. En effet, une pétition circule sur Internet sous le titre «le Graffiti n’est pas un crime», elle a regroupé pour le moment 345 signataires. Une manifestation a été organisée, le jour de l’ouverture des Journées Cinématographiques de Carthage, pour revendiquer la liberté d’expression. D’autres actions de Graffiti se tiendront à Tunis et même à l’étranger pour sensibiliser l’opinion publique.
Henda Hendoud
A lire aussi:
Jérissa, région de galère qui aimerait renaître de ses cendres